Page:Verne - Le Testament d’un excentrique, Hetzel, 1899.djvu/225

Cette page a été validée par deux contributeurs.
214
le testament d’un excentrique

« Je crains que nous soyons forcés d’y relâcher, dit Huelcar.

— Y relâcher… pour n’en plus pouvoir sortir avec ces vents-là !… » s’écria Turk.

Hodge Urrican gardait le silence.

« Si nous n’y cherchons pas abri, reprit le patron, et si, à la hauteur du cap Sable, le courant nous jette dans le détroit, ce n’est pas à Key West que nous irons mouiller, mais aux Bahama, à l’ouvert de l’Atlantique ! »

Le commodore continuait à se taire, et, peut-être, tant sa gorge était gonflée, tant ses lèvres se serraient l’une contre l’autre, n’aurait-il pu articuler une parole.

De son côté, le patron comprenait bien que si elle se réfugiait dans la baie de Whitewater, la Chicola y serait bloquée pour plusieurs jours. Or on était au 23 mai, et il fallait être à Key West avant quarante-huit heures.

Alors l’équipage rivalisa d’audace et d’adresse afin de soutenir le petit navire contre les bourrasques du large, au risque d’amener en bas la mâture ou même de chavirer sous voiles. On essaya de tenir la cape avec le petit foc et un tourmentin à l’arrière. La goélette perdit encore trois ou quatre milles pendant la journée et la nuit suivante. Si le vent ne hâlait pas le nord ou le sud, elle ne pourrait, plus résister, et serait le lendemain à la côte.

Et ce ne fut que trop certain, lorsque, dès les premières heures du 24, la terre, toute hérissée de roches, toute ceinturée de récifs, montra à cinq milles les terribles pointes du cap Sable. Encore quelques heures, et la Chicola serait entraînée à travers le détroit de la Floride.

Cependant, avec de nouveaux efforts, en profitant de la marée montante, il eût été possible de donner dans la baie de Whitewater.

« Il le faut… déclara Huelcar.

— Non, répondit Hodge Urrican.

— Eh ! je ne veux pas risquer de perdre mon bateau, et nous avec, en m’entêtant à tenir la mer…