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aventures du commodore urrican.

— Soit… mais je ne le suis pas !

— Songez donc… soixante millions de dollars… peut-être… à votre retour…

— Que j’aurais tout aussi bien empochés, si la cinquante-troisième case avait été celle d’un État voisin du nôtre ! »

Rien de plus exact, et, cependant, quoiqu’il refusât d’en convenir, son avantage sur les cinq autres partenaires était réel. Impossible à ceux-ci d’atteindre la dernière case au coup suivant, tandis que dix points pouvaient l’y conduire.

Enfin, puisque Hodge Urrican fermait son oreille au langage de la raison, il est probable que, même en cas qu’il eût été expédié en quelque État limitrophe de l’Illinois, Indiana ou Missouri, il se serait refusé à l’entendre.

Grognant et maugréant, le commodore Urrican était donc rentré à sa maison de Randolph Street, avec Turk, dont les récriminations devenaient si violentes que son maître dut lui ordonner formellement de se taire.

Son maître ?… Hodge Urrican était-il donc le maître de Turk, alors que, d’une part, l’Amérique avait proclamé l’abolition de l’esclavage, et que, de l’autre, ledit Turk, quoique hâlé de teint, n’aurait pu passer pour un nègre ?…

Enfin, était-ce donc son domestique ?… Oui et non.

D’abord Turk, bien qu’il fût au service du commodore, ne recevait aucun gage, et, lorsqu’il avait besoin d’argent, — oh ! bien peu ! — il en demandait et on lui en donnait. C’était plutôt ce qu’on pourrait appeler un homme « pour accompagner », ainsi que l’on dit des dames à la suite des princesses. D’ailleurs, la distance sociale qui séparait Hodge Urrican de Turk ne permettait pas de le considérer comme son compagnon.

Turk se nommait réellement Turk, un ancien marin de la marine fédérale, n’ayant jamais navigué qu’à l’État, mousse, novice, matelot, quartier-maître, toute la filière. Circonstance à noter, il avait fait son service à bord des mêmes bâtiments que Hodge Urrican, lequel