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un et un font deux.

Mais, de demander ces déplacements à deux mollusques arrachés de leur banc natal, et transportés à neuf cents milles de là, c’eût été peine inutile. Non ! ils ne quitteraient Calais ni un jour ni une heure. Ils resteraient en tête à tête, supputant leurs chances, maudissant d’instinct leurs partenaires, après avoir réglé cent fois déjà l’emploi de leur nouvelle fortune, si le hasard les rendait trois cents fois millionnaires. Et, au fait, est-ce qu’ils n’en seraient pas embarrassés ?…

Embarrassés… eux, de ces millions !… Soyez sans inquiétude, ils sauraient les placer en valeurs de toute sécurité, actions de banques, de mines, de sociétés industrielles, et ils toucheraient leurs immenses revenus, et ils ne les dissiperaient pas en fondations charitables, et ils les replaceraient sans en rien distraire pour leur confort, pour leurs plaisirs, et ils vivraient comme devant, concentrant leur existence dans l’amour des écus, dévorés de l’auri sacra fames, cancres qu’ils étaient, caquedeniers, comme on disait jadis, grigous, pleutres et rats, voués à la lésinerie, à la ladrerie, pince-mailles et tire-liards, membres perpétuels de l’Académie des pleure-misère !

En vérité, si le sort favorisait cet affreux couple, c’est sans doute qu’il aurait ses raisons. Lesquelles, il eût été difficile de l’imaginer ! Et ce serait au détriment de partenaires plus dignes de la fortune de William J. Hypperbone, et qui en feraient meilleur usage, — sans en excepter Tom Crabbe, sans en excepter le commodore Urrican !

Les voici donc tous les deux à l’extrémité du territoire fédéral, dans cette petite ville de Calais, cachés sous ce nom de Field, ennuyés et impatients, regardant les bateaux de pêche sortir à chaque marée et rentrer avec leur charge de maquereaux, de harengs et de saumons. Puis ils revenaient se confiner dans la chambre de Sandy Bar, toujours tremblants à cette idée que leur identité risquait d’être découverte.

En effet, Calais n’est pas tellement perdu au fond du Maine que les bruits du fameux match ne fussent parvenus jusqu’à ses habitants. Ils savaient que la deuxième case était attribuée à cet État de la Nouvelle-Angleterre, et le télégraphe leur avait appris que le troisième