Page:Verne - Le Testament d’un excentrique, Hetzel, 1899.djvu/130

Cette page a été validée par deux contributeurs.
122
le testament d’un excentrique

— Eh bien… veux-tu que je te le dise, répliqua M. Field, c’est celui-là que je redoute entre tous… On ne sait qui il est… ni d’où il sort… Personne ne le connaît… Il se nomme X K Z… Est-ce que c’est un nom, cela ?… Est-ce qu’il est convenable de s’appeler X K Z ?… »

Ainsi s’exprima M. Field. Mais, s’il ne se cachait pas sous des initiales, n’avait-il pas changé Titbury en Field, — car le lecteur l’a reconnu rien qu’à ces quelques phrases échangées entre la fausse Mrs Field et lui, et dans lesquelles se révélaient leurs abominables instincts d’avarice…

Oui, c’était bien Hermann Titbury, le troisième partenaire, que les dés, par un et un, avaient envoyé à la deuxième case, État du Maine. Et quelle malchance, puisque ce coup ne l’avançait que de deux pas sur soixante-trois, tout en l’obligeant à gagner l’extrême pointe nord-est de l’Union !

En effet, le Maine confine à la Puissance du Canada et au Nouveau-Brunswick. Entré dans la confédération depuis 1820, il a pour limite orientale la baie de Passamaquoddy, dans laquelle la rivière Sainte-Croix envoie ses eaux, — de même que l’État, divisé en douze comtés, envoie deux sénateurs et cinquante députés au Congrès, cette baie nationale, pourrait-on dire avec quelque prétention, où se déversent les fleuves politiques de l’U. S. A.

M. et Mrs Titbury avaient quitté, dès le soir du 5 mai, leur maison louche de Robey Street et ils occupaient maintenant cette auberge borgne de Calais. On sait quelles raisons leur avaient fait adopter un nom d’emprunt. N’ayant indiqué à personne le jour et l’heure de leur départ, ce voyage s’était effectué dans le plus strict incognito, comme celui de Max Réal, pour des motifs très différents, il est vrai.

Cela ne laissa pas de contrarier les parieurs, car, il faut l’avouer, Hermann Titbury se présentait en remarquable performance dans cette course aux millions. Nul doute que sa cote dût monter au cours de la partie et qu’il deviendrait un des favoris du match. N’était-il pas de ces privilégiés auxquels tout réussit ici-bas, étant peu scrupuleux sur les moyens qu’ils emploient à s’assurer le succès.