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tom crabbe entraîné par john milner.

sonnée. Or, comme il ne put la refermer à temps, un jet d’eau salée s’introduisit jusque dans sa gorge, au moment où le Sherman s’inclinait sous un fort coup de houle.

Tom Crabbe, déralingué du banc, s’abattit sur le pont.

Il était assez indiqué de le transporter au centre du steamer, où les oscillations sont moins sensibles.

« Viens, Tom, » dit John Milner.

Tom Crabbe voulut se relever, mais il s’y essaya en vain et retomba de tout son poids.

Le capitaine Curtis, averti par la secousse, se dirigea vers l’arrière.

« Je vois ce que c’est… affirma-t-il… rien, en somme, et l’honorable Tom Crabbe s’y fera… Il n’est pas possible qu’un tel homme soit sujet au mal de mer. C’est bon… tout au plus pour les femmelettes, ou alors ce serait terrible chez un individu aussi fortement constitué ! »

Terrible, en effet, et jamais passagers n’assistèrent à plus lamentable spectacle. La nausée, on en conviendra, c’est plutôt le lot naturel des malingres et des souffreteux. Le phénomène s’accomplit alors de façon normale et sans violenter la nature. Mais un type de cette corpulence et de cette vigueur !… N’en serait-il pas de lui comme de ces monuments qui sont plus endommagés par un tremblement de terre que la frêle cabane d’un Indien ?… Celle-ci résiste alors que celui-là se disloque.

Et Tom Crabbe se disloqua, et il menaça de ne plus former qu’un monceau de ruines.

John Milner, très ennuyé, intervint.

« Il faudrait le déhaler, » dit-il.

Le capitaine Curtis appela le maître d’équipage et douze matelots pour ce surcroît de besogne. L’escouade, combinant ses efforts, tenta vainement de relever le Champion du Nouveau-Monde. Il fut nécessaire de le rouler le long du spardeck, comme un tonneau, puis de l’affaler sur le pont au moyen d’un palan, puis de le traîner jusqu’au