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le testament d’un excentrique

On passa devant plusieurs usines et entrepôts, groupés sur les deux bords, devant la bourgade d’Algiers, devant la Pointe à la Hache, devant Jump. D’ailleurs, à cette époque, l’étiage est élevé. En avril, mai et juin, le Mississippi se gonfle de crues régulières, et ses eaux ne descendent à leur minimum qu’en novembre. Le Sherman n’eut donc point à ralentir sa vitesse, et il atteignit sans encombre Port Eads, nom de l’ingénieur dont les travaux améliorèrent cette passe du sud.

C’est là que le Mississippi va s’absorber dans le golfe du Mexique, et son parcours n’est pas estimé à moins de quatre mille cinq cents milles[1].

Le Sherman, dès qu’il eut tourné les dernières pointes ; mit le cap à l’ouest.

Comment Tom Crabbe avait-il supporté cette partie de la traversée ?… Très bien. Après avoir mangé à ses heures habituelles, il alla se coucher. Puis il apparut frais et dispos le lendemain, lorsqu’il vint reprendre sa place à l’arrière du spardeck.

Le Sherman était déjà d’une cinquantaine de milles au large, et la côte très basse se dessinait à peine vers le nord.

C’était la première fois que Tom Crabbe se risquait à une navigation sur mer. Aussi, tout d’abord, le roulis et le tangage parurent l’étonner.

Cet étonnement amena sur sa large face, si rubiconde d’habitude, une pâleur croissante dont John Milner, très aguerri pour son compte, ne tarda pas à s’apercevoir.

« Est-ce qu’il va être malade ?… se demanda-t-il en s’approchant du banc sur lequel son compagnon avait dû s’asseoir.

Et, le secouant à l’épaule, il dit :

« Ça va-t-il ?… »

Tom Crabbe ouvrit la bouche, et, cette fois ce ne fut pas la faim qui mit en jeu ses masseters, bien que l’heure du premier repas fût

  1. 7240 kilomètres.