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LA MARIPARE ET LA GALINETTA

Certes, il est permis aux voyageurs de l’Orénoque de compter sur le gibier si abondant de ses rives, sur le poisson dont ses eaux fourmillent. D’une part, M. Miguel était un adroit chasseur ; de l’autre, le sergent Martial maniait adroitement sa carabine. Même entre les mains de Jean de Kermor, son léger fusil ne resterait ni inactif ni inutile. Mais on ne vit pas uniquement de la chasse et de la pêche. Il convient d’embarquer du thé, du sucre, de la viande séchée, des conserves de légumes, de la farine de cassave, tirée du manioc, qui remplace la farine de maïs ou de froment, puis les tonnelets de tafia et d’aguardiente. Quant au combustible, les forêts riveraines ne laisseraient pas chômer les fourneaux des pirogues. Enfin, contre le froid, ou plutôt contre l’humidité, il était facile de se procurer ces couvertures de laine qui sont de vente courante dans toutes les bourgades vénézuéliennes.

Néanmoins, plusieurs jours durent être consacrés à des diverses acquisitions. D’ailleurs, il n’y eut pas lieu de regretter ce retard. Pendant quarante-huit heures, le temps fut particulièrement mauvais. Caïcara reçut un de ces coups de vent d’une excessive violence auxquels les Indiens donnent le nom de chubasco. Il soufflait du sud-ouest, accompagné de pluies torrentielles qui provoquèrent une sensible crue du fleuve.

Le sergent Martial et son neveu eurent là un avant-goût des difficultés que présente la navigation de l’Orénoque. Les falcas n’auraient pu ni remonter le courant accru par le grossissement des eaux, ni résister au vent qui les eût prises debout. Nul doute qu’elles n’eussent été obligées de revenir à Caïcara, et peut-être avec des avaries graves.

MM. Miguel, Felipe et Varinas acceptèrent en philosophes ce contretemps. Ils n’étaient pas autrement pressés. Peu importait que leur voyage se prolongeât de quelques semaines. Au contraire, le sergent Martial enrageait, bougonnait, pestait contre la crue, sacrait en français et en espagnol contre la bourrasque, et il fallait que Jean intervînt pour le calmer.