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EN ROUTE.

Là s’épanchaient les premières eaux de la sierra Parima, à travers cette gorge au fond de laquelle un hardi explorateur avait arboré le pavillon de la France, le 18 décembre 1886.

Cette partie de la sierra était hérissée de vieux arbres, destinés à tomber de vieillesse, car la hache d’un bûcheron ne viendrait jamais, sans doute, les abattre en de si lointaines régions.

Le lieu semblait absolument désert. Pas une pirogue, pas même une curiare n’aurait pu remonter jusque-là pendant la saison chaude, et c’était à cinquante kilomètres en aval que les deux falcas avaient dû s’arrêter.

Ces cinquante kilomètres, si les Guaharibos étaient animés de la même ardeur que leur chef, pouvaient être enlevés dans la nuit, et la troupe arriverait au campement du pic Maunoir dès la pointe du jour. Quant à s’égarer, il n’y avait pas lieu de le craindre, puisqu’il suffirait de côtoyer la rive droite du fleuve, dont les rios à sec n’offriraient aucun obstacle.

Le Père Esperante n’eut pas même à demander à ses Indiens s’ils voulaient faire cet effort. Il se leva, il prit les devants. Cavaliers et piétons suivirent.

L’Orénoque, très encaissé à sa naissance, ne mesurait alors que quelques mètres de largeur entre des berges escarpées, mélangées d’argile et de roches. Sur cette première partie de son parcours, à l’époque des grandes pluies, une pirogue aurait eu plusieurs raudals à franchir, et elle n’y eût réussi qu’au prix de retards considérables.

Lorsque la nuit commença à tomber vers huit heures, les Guaharibos traversèrent à gué le Crespo, — ainsi dénommé sur la carte du voyageur français en l’honneur du Président de la république vénézuélienne.

En déclinant sur un fond de ciel très pur, le soleil avait disparu derrière un horizon dégagé de nuages. Les constellations étincelantes allaient pâlir devant la lune qui se levait en pleine syzygie.

Favorisés par cette clarté qui dura toute la nuit, les Guaharibos