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LA MISSION DE SANTA-JUANA.

affluaient-ils à la Mission, et d’autres cases s’élevaient-elles. Aussi la bourgade s’agrandissait-elle, en mordant sur la forêt qui l’entourait de son éternelle verdure. Aussi les cultures se développaient sans avoir à craindre que le sol vînt à leur manquer, puisque ces savanes de l’Orénoque sont pour ainsi dire sans limites.

On aurait tort de croire que l’établissement de la Mission de Santa-Juana n’eût pas été soumis parfois à de dures épreuves. Oui ! c’était au prix d’un dévouement admirable, d’efforts persévérants, qu’il s’était développé. Mais, que de graves dangers au début ! Il avait fallu défendre le village naissant contre des tribus jalouses, poussées par leurs instincts meurtriers et pillards. La population s’était vue contrainte à repousser des attaques qui risquaient de détruire l’œuvre dans l’œuf. Pour résister aux bandes errant à travers la courbe de l’Orénoque ou descendues des cordillères du littoral, les plus urgentes mesures et les mieux entendues avaient été prises. Le missionnaire se révéla alors comme un homme d’action, et son courage égala ses talents d’organisateur.

Tous les Guaharibos dans la force de l’âge furent enrégimentés, disciplinés, instruits au maniement des armes. Actuellement, une compagnie de cent hommes, pourvus du fusil moderne, approvisionnés de munitions, tireurs habiles, — car ils possédaient la justesse du coup d’œil de l’Indien, — assurait la sécurité de la Mission et ne laissait aucune chance de succès à une agression qui ne pouvait les surprendre.

Et n’en avait-on pas eu la preuve, un an auparavant, lorsqu’Alfaniz, ses complices du bagne et son ramassis de Quivas, s’étaient jetés sur la bourgade ? Bien qu’ils fussent en force numérique égale, lorsque le père Esperante les combattit à la tête de ses guerriers, ils éprouvèrent des pertes sensibles, tandis que le sang ne coula que peu du côté des Guaharibos.

Ce fut, précisément, à la suite de cet échec, que les Quivas songèrent à abandonner le pays et à regagner les territoires situés à l’ouest de l’Orénoque.