Page:Verne - Le Superbe Orénoque, Hetzel, 1898.djvu/401

Cette page a été validée par deux contributeurs.
363
LA MISSION DE SANTA-JUANA.

fait le fond de l’alimentation du Centre-Amérique. Ils semblaient être au dernier degré de l’échelle humaine, petits de taille, chétifs de constitution, grêles de forme, avec l’estomac gonflé des géophages, et, trop souvent, en effet, pendant l’hiver, ils étaient réduits, en guise de nourriture, à manger de la terre. Leurs cheveux un peu rougeâtres tombant sur leurs épaules, leur physionomie où, cependant, un observateur eût soupçonné une certaine intelligence restée à l’état rudimentaire, une coloration de la peau moins foncée que celle des autres Indiens, Quivas, Piaroas, Barés, Mariquitares, Banivas, tout les reléguait au dernier rang des races les plus inférieures.

Et ces indigènes passaient cependant pour si redoutables que leurs congénères osaient à peine s’aventurer sur ces territoires, et on les disait si enclins au pillage et au meurtre, que les marchands de San-Fernando ne s’aventuraient jamais au-delà de l’Ocamo et du Mavaca.

Ainsi s’était établie la détestable réputation dont jouissaient encore les Guaharibos, il y avait cinq ou six ans, lorsque M. Chaffanjon, dédaignant les terreurs de ses bateliers, n’hésita pas à poursuivre sa navigation jusqu’aux sources du fleuve. Mais, après les avoir enfin rencontrés à la hauteur du pic Maunoir, il fit bonne justice de ces accusations mal fondées contre de pauvres Indiens inoffensifs.

Et pourtant, à cette époque déjà, nombre d’entre eux réunis à la voix du missionnaire espagnol, formaient le premier noyau de la Mission de Santa-Juana. La religion avait pénétré ces âmes, grâce au dévouement de l’apôtre qui leur consacrait sa vie et leur sacrifiait toutes les joies de l’existence.

Le Père Esperante eut la pensée de prendre corps à corps, — on dirait mieux, âme à âme, — ces malheureux Guaharibos. C’est dans ce but qu’il vint s’installer au plus profond de ces savanes de la sierra Parima. Là, il résolut de fonder un village qui, le temps aidant, deviendrait une bourgade. Du reste de sa fortune, il ne croyait pouvoir faire un plus généreux emploi qu’à créer cette œuvre de