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LE SUPERBE ORÉNOQUE.

C’est à peine si les Indiens le parcouraient, lorsque la nécessité les obligeait à faire transhumer leurs troupeaux. À la surface de ces territoires, rien que de vastes llanos, fertiles mais incultivés, des forêts impénétrables, des esteros marécageux, inondés l’hiver par le trop-plein des coulières avoisinantes. Rien que des fauves, des ophidiens, des singes, des volatiles, — sans oublier les insectes et particulièrement les moustiques, — à représenter la vie animale en ces contrées presque inconnues encore. C’était, à vrai dire, le désert, où ne s’aventuraient jamais ni les marchands ni les exploitants de la République venezuelienne.

En s’élevant de quelques centaines de kilomètres vers le nord et le nord-est, on se fût perdu à la surface d’une extraordinaire région, dont le relief se rattachait peut-être à celui des Andes, avant que les grands lacs se fussent vidés à travers un incohérent réseau d’artères fluviales dans les profondeurs de l’Atlantique. Pays tourmenté, où les arêtes se confondent, où les reliefs semblent en désaccord avec les logiques lois de la nature, même dans ses caprices hydrographiques et orographiques, immense aire, génératrice inépuisable de cet Orénoque qu’elle envoie vers le nord, et de ce rio Blanco qu’elle déverse vers le sud, dominée par l’imposant massif du Roraima, dont Im Thurn et Perkin devaient, quelques années plus tard, fouler la cime inviolée jusqu’alors.

Telle était cette portion du Venezuela, son inutilité, son abandon, lorsqu’un étranger, un missionnaire, entreprit de la transformer.

Les Indiens, épars sur ce territoire, appartenaient, pour le plus grand nombre, à la tribu des Guaharibos. D’habitude, ils erraient sur les llanos, au sein des forêts profondes, dans le nord de la rive droite du haut Orénoque. C’étaient de misérables sauvages, que la civilisation n’avait pu toucher de son souffle. À peine avaient-ils des paillotes pour se loger, des haillons d’écorce pour se couvrir. Ils vivaient de racines, de bourgeons de palmiers, de fourmis et de poux de bois, ne sachant pas même tirer la cassave de ce manioc, qui