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LE SERGENT MARTIAL ET SON NEVEU.

colonel de Kermor, lequel lui a même sauvé la vie sur le champ de bataille pendant cette guerre du second empire que termina le désastre de 1870-1871. C’est un de ces vieux braves qui restent dans la maison de leur ancien chef, dévoués et grondeurs, qui deviennent le factotum de la famille, qui voient élever les enfants, quand ils ne les élèvent pas eux-mêmes, qui les gâtent, quoi qu’on puisse dire, qui leur donnent leurs premières leçons d’équitation en les achevalant sur leurs genoux, et leurs premières leçons de chant en leur apprenant les fanfares du régiment.

Le sergent Martial, malgré ses soixante ans, est encore droit et vigoureux. Endurci, trempé pour le métier de soldat, et sur lequel le froid et le chaud n’ont plus de prise, il ne cuirait pas au Sénégal et ne gèlerait pas en Russie. Sa constitution est solide, son courage à toute épreuve. Il n’a peur de rien, ni de personne, si ce n’est de lui-même, car il se défie de son premier mouvement. Haut de stature, maigre pourtant, ses membres n’ont rien perdu de leur force, et à l’âge qu’il a, il a conservé toute la raideur militaire. C’est un grognard, une vieille moustache, soit ! Mais, au demeurant, quelle bonne nature, quel excellent cœur, et que ne ferait-il pas pour ceux qu’il aime ! Il semble, d’ailleurs, que ceux-là se réduisent à deux en ce bas monde, le colonel de Kermor, et Jean, dont il a consenti à devenir l’oncle.

Aussi, avec quelle méticuleuse sollicitude il veille sur ce jeune garçon ! Comme il l’entoure de soins, bien qu’il soit décidé qu’il se montrera très sévère à son égard ! Pourquoi cette dureté de commande, pourquoi ce rôle qui lui répugnait tant à remplir, il n’aurait pas fallu le lui demander. Quels regards farouches on aurait essuyés ! Quelle réponse malsonnante on aurait reçue ! Enfin, avec quelle grâce on eut été « envoyé promener ».

C’est même de la sorte que les choses s’étaient passées pendant la navigation entre l’ancien et le nouveau continent à travers l’Atlantique. Ceux des passagers du Pereire qui avaient voulu se lier avec Jean, qui avaient cherché à lui parler, à lui rendre de ces petits