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LE SUPERBE ORÉNOQUE.

que le colonel commandait un des régiments d’infanterie, il eut occasion d’intervenir comme témoin dans une double affaire de vol et de trahison.

Ce voleur n’était autre que l’Espagnol Alfaniz. Le traître, tout en opérant pour le compte des Prussiens, en faisant de l’espionnage à leur profit, commettait des vols de connivence avec un malheureux soldat d’administration, qui n’échappa au châtiment que par le suicide.

Lorsque les agissements d’Alfaniz furent découverts, il eut le temps de prendre la fuite, et il fut impossible de mettre la main sur lui. C’est par une circonstance toute fortuite que son arrestation eut lieu, deux ans après, en 1873, environ six mois avant la disparition de M. de Kermor.

Traduit devant la cour d’assises de la Loire-Inférieure, accablé par la déposition du colonel, il s’entendit condamner à la peine des travaux forcés à perpétuité. À la suite de cette affaire, Alfaniz garda une haine terrible contre le colonel de Kermor, — haine qui se traduisit par les plus effroyables menaces, en attendant qu’elle pût se traduire par des actes de vengeance.

L’Espagnol fut envoyé au bagne de Cayenne, et il venait de s’en échapper au début de 1892, après dix-neuf années, avec deux de ses compagnons de chaîne. Comme il avait vingt-trois ans à l’époque de sa condamnation, il était alors âgé de quarante-deux ans. Considéré comme un très dangereux malfaiteur, l’administration française mit ses agents en campagne afin de retrouver ses traces. Ce fut inutile. Alfaniz était parvenu à quitter la Guyane, et au milieu de ces vastes territoires à peine peuplés, à travers ces immenses llanos du Venezuela, comment eût-il été possible de reconnaître la piste du forçat évadé ?…

En somme, tout ce qu’apprit l’administration, — et ce dont la police vénézuélienne ne fut que trop certaine, — c’est que le forçat s’était mis à la tête de la bande de ces Quivas qui, chassés de la Colombie, s’étaient transportés sur la rive droite de l’Orénoque.