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LE SUPERBE ORÉNOQUE.

La conversation portait, en ce moment, sur la nécessité d’avoir des pirogues en très bon état, lorsqu’il s’agit de refouler le courant, qui est raide dans la partie supérieure du fleuve — et M. Manuel en parlait avec insistance.

« Vous rencontrerez encore des raudals, dit-il, moins longs, moins difficiles sans doute que ceux d’Apure et de Maipure, mais d’une navigation très pénible. Il y a même lieu d’effectuer des traînages sur les récifs, ce qui suffirait à mettre les embarcations hors d’usage, si elles n’étaient d’une extrême solidité. Je vois qu’on a fait un bon travail pour celle du sergent Martial. — J’y pense, n’a-t-on pas visité la vôtre, monsieur Helloch ?…

— N’en doutez pas, monsieur Manuel, car j’en avais donné l’ordre. Parchal s’est assuré que la Moriche était solide dans ses fonds. Nous devons donc espérer que nos deux falcas pourront se tirer des raudals sans dommage, comme aussi supporter les coups de chubasco — puisque, selon vous, ils ne sont pas moins terribles en amont qu’en aval…

— C’est la pure vérité, répondit le commissaire, et, faute de prudence, avec des bateliers qui ne connaîtraient pas le fleuve, on ne saurait parer à ces dangers. D’ailleurs, ce ne sont pas les plus redoutables…

— Et quels autres ?… demanda le sergent Martial, pris de quelque inquiétude.

— Les dangers qu’implique la présence des Indiens le long de ces rives…

— Monsieur Manuel, dit alors Jean, ne voulez-vous pas parler des Guaharibos ?…

— Non, mon cher enfant, répondit le commissaire en souriant, car ces Indiens sont inoffensifs. Je sais bien qu’ils passaient autrefois pour dangereux. Et précisément, en 1879 à l’époque où le colonel de Kermor aurait remonté vers les sources de l’Orénoque, on mettait à leur compte la destruction de plusieurs villages, le massacre de leurs habitants…