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UNE HALTE DE DEUX JOURS À DANACO.

— Voilà de la belle impudence ! s’écria le commissaire. À les entendre… l’Orénoque ne serait pas l’Orénoque ! »

Et il était vraiment furieux, ce digne M. Manuel Assomption, et sa femme, ses deux fils, partageaient sa fureur. Leur amour-propre était réellement touché dans ce qui leur tenait le plus au cœur, leur Orénoque, c’est-à-dire la « Grande Eau », en dialecte tamanaque, « le Roi des Fleuves » !

Il fallut alors expliquer ce que M. Miguel et ses deux collègues étaient venus faire à San-Fernando, à quelles investigations, suivies sans doute de discussions orageuses, ils devaient se livrer en ce moment.

« Et… ce monsieur Miguel… que prétend-il ?… demanda le commissaire.

— Monsieur Miguel, lui, affirme que l’Orénoque est bien le fleuve que nous avons suivi de San-Fernando à Danaco, répondit Germain Paterne.

— Et qui sort du massif de la Parima ! affirma d’une voix éclatante le commissaire. Aussi, que M. Miguel vienne nous voir, et il sera reçu avec cordialité !… Mais que les deux autres ne s’avisent pas de relâcher au rancho, car nous les jetterions dans le fleuve, et ils en boiraient assez pour s’assurer que son eau est bien celle de l’Orénoque ! »

Rien de plus plaisant que M. Manuel parlant avec cette animation et proférant de si terribles menaces. Mais, toute exagération à part, le propriétaire du rancho tenait pour son fleuve, et il l’eût défendu jusqu’à sa dernière goutte.

Vers dix heures du soir, Jacques Helloch et son compagnon prirent congé de la famille Assomption, dirent adieu au sergent Martial et à Jean, puis regagnèrent leur pirogue.

Fut-ce involontairement, ou par suite d’une sorte de pressentiment, la pensée de Jacques Helloch se porta sur Jorrès. Il n’y avait plus à douter que cet Espagnol eût connu le Père Esperante, qu’il l’eût rencontré à Caracas ou ailleurs, puisqu’il l’avait dépeint tel que