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PREMIÈRE ÉTAPE.

tabac, d’ananas. Au service de l’Indien et de sa femme, on comptait une douzaine de péons, qui vivaient à Carida dans la plus heureuse entente.

Il eût été difficile d’opposer un refus à l’invitation que fit ce brave homme de visiter son établissement. Il vint à bord des pirogues, dès qu’elles eurent accosté la grève. Un verre d’aguardiente lui fut présenté. Il ne l’accepta qu’à la condition qu’on irait boire le tafia et fumer les cigarettes de tabari à l’intérieur de sa case. Il y aurait eu mauvaise grâce à décliner cette invitation, et les passagers promirent de se rendre au rancho après leur dîner.

Un petit incident se produisit alors, auquel on n’attacha pas, et on ne pouvait même attacher grande importance.

Au moment où il débarquait de la Gallinetta, le Baré avisa un des hommes de l’équipage, — ce Jorrès que le patron avait engagé à San-Fernando.

On n’a point oublié que l’Espagnol n’avait offert ses services que parce que son intention était de se rendre à la Mission de Santa-Juana.

Et alors le Baré de lui demander, après l’avoir regardé avec une certaine curiosité :

« Hé ! l’ami… dites-moi… est-ce que je ne vous ai pas déjà vu quelque part ?… »

Il y eut un léger froncement des sourcils de Jorrès, qui se hâta de répondre :

« Pas ici… toujours, l’Indien, car je ne suis jamais venu à votre rancho.

— C’est étonnant… Peu d’étrangers passent à Carida, et l’on n’oublie guère leur figure, quand ils l’ont montrée… ne fût-ce qu’une seule fois…

— C’est peut-être à San-Fernando que vous m’aurez rencontré ? répliqua l’Espagnol.

— Depuis combien de temps y étiez-vous ?…

— Depuis… trois semaines.