Page:Verne - Le Superbe Orénoque, Hetzel, 1898.djvu/253

Cette page a été validée par deux contributeurs.
227
QUELQUES MOTS DU PASSÉ.

On ne l’a pas oublié, une lettre, signée du colonel, était arrivée à Nantes en 1879. Cette lettre venait de San-Fernando de Atabapo, Venezuela, Amérique du Sud. Adressée au notaire de la famille de Kermor, elle se rapportait à une affaire toute personnelle qu’il s’agissait de régler. Mais, en même temps, recommandation était faite de garder un absolu secret sur l’existence de cette lettre. Or, ledit notaire vint à décéder, alors que Jeanne de Kermor se trouvait encore à la Martinique, et que personne ne savait qu’elle fût la fille du colonel.

C’est seulement sept ans après que cette lettre fut retrouvée dans les papiers du défunt, — vieille de treize ans déjà. À cette époque, ses héritiers, qui connaissaient l’histoire de Jeanne de Kermor, son installation près du sergent Martial, les tentatives faites pour se procurer des documents relatifs à son père, s’empressèrent de lui donner communication de cette lettre.

Jeanne de Kermor était majeure alors. Depuis qu’elle avait vécu, — on pourrait dire, sous « l’aile maternelle » du vieux compagnon d’armes de son père, — l’éducation qu’elle avait reçue dans la famille Eredia s’était complétée de cette instruction solide et sérieuse qu’offre la pédagogie moderne.

S’imagine-t-on ce qu’elle éprouva, de quel irrésistible désir elle fut prise, lorsque ce document tomba entre ses mains ! C’était la certitude acquise que le colonel de Kermor, en 1879, se trouvait à San-Fernando. Et si on ignorait ce qu’il était devenu depuis ce temps, du moins y avait-il là un indice, — l’indice, tant réclamé, — qui permettrait de faire les premiers pas sur la route des recherches. On écrivit au gouverneur de San-Fernando, on écrivit plusieurs fois… Les réponses furent toujours les mêmes… Personne ne connaissait le colonel de Kermor… personne n’avait souvenir qu’il fût venu dans la bourgade… Et, cependant, la lettre était formelle.

Dans ces conditions, le mieux ne serait-il pas de se rendre à San-Fernando ?… Assurément… Aussi la jeune fille résolut-elle de partir pour cette région du haut Orénoque.