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LE SUPERBE ORÉNOQUE.

de cette enfant. Enfin, on finit par apprendre qu’une Mme  de Kermor, passagère à bord du Norton, était la mère de Juana, et que son mari, le colonel de ce nom, vivait encore.

L’enfant était alors une fillette d’une douzaine d’années, qui promettait de devenir une charmante jeune fille. Instruite, sérieuse, pénétrée d’un profond sentiment de ses devoirs, elle possédait une énergie peu commune à son âge et à son sexe.

Les Eredia ne se crurent pas en droit de lui cacher ces nouvelles informations, et, à partir de ce jour, il sembla que son esprit fût éclairé d’une lueur persistante. Elle se crut appelée à retrouver son père. Cette croyance devint sa pensée habituelle, une sorte d’obsession qui produisit une modification très visible de son état intellectuel et moral. Bien que si heureuse, si filialement traitée en cette maison où s’était passée son enfance, elle ne vécut plus que dans l’idée de rejoindre le colonel de Kermor… On sut qu’il s’était retiré en Bretagne, près de Nantes, sa ville natale… On écrivit pour savoir s’il y résidait actuellement… Quelle accablante nouvelle, lorsque la jeune fille apprit pour toute réponse que son père avait disparu depuis bien des années déjà.

Alors Mlle  de Kermor supplia ses parents adoptifs de la laisser partir pour l’Europe… Elle irait en France… à Nantes… Elle parviendrait à ressaisir des traces que l’on disait perdues… Où des étrangers échouent, une fille, guidée par son seul instinct, peut réussir…

Bref, les Eredia consentirent à son départ, sans aucun espoir, d’ailleurs. Mlle  de Kermor quitta donc la Havane, puis, après une heureuse traversée, arriva à Nantes, où elle ne trouva plus que le sergent Martial, toujours dans l’ignorance de ce qu’était devenu son colonel.

Que l’on juge de l’émotion du vieux soldat, lorsque cette enfant, celle que l’on disait avoir péri dans la catastrophe du Norton, franchit le seuil de la maison de Chantenay. Il ne voulait pas croire, et il fut forcé de croire. Le visage de Jeanne lui rappelait les traits