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LE SUPERBE ORÉNOQUE.

à pic. En remontant le bras du fleuve où le courant descendait moins rapidement, et en se remorquant à l’espilla, les mariniers atteignirent l’extrémité méridionale de cette île.

Le soleil avait alors disparu derrière cet amoncellement de ballots de vapeurs, qui semblaient prêts à se dérouler les uns sur les autres. De longs ronflements de tonnerre bourdonnaient vers le sud. Des premiers éclairs sillonnaient ces amas nuageux, qui menaçaient de faire explosion. Pas un souffle venant du nord. Aussi l’orage gagnait-il, en étendant ses larges ailes électriques du levant au couchant. Toute l’aire du ciel serait vite envahie par ces masses fuligineuses. Le météore se dissiperait-il sans provoquer une formidable lutte des éléments ?… Cela peut arriver, mais le plus confiant des météorologistes n’aurait pu l’espérer, cette fois.

Par prudence, les voiles des pirogues furent amenées, d’autant qu’elles ne rendaient aucun service. Par prudence aussi, les mariniers décalèrent les mâts, que l’on coucha de l’avant à l’arrière. Dès que les falcas commencèrent à perdre, chaque équipage se mit sur les palancas, et, en déployant ce que cette atmosphère étouffante lui laissait de vigueur, rebroussa le rapide courant du fleuve.

Après l’île Amanameni, on atteignit l’île Guayartivari, d’une étendue non moins considérable, et il fut possible de se haler le long de ses berges assez accores. En somme, les pirogues avançaient plus vite qu’avec les palancas, et c’est dans ces conditions qu’elles purent doubler l’extrémité d’amont.

Tandis que les haleurs prenaient quelque repos, avant de se remettre à la manœuvre des palancas, M. Miguel s’approcha de la Moriche et demanda :

« À quelle distance sommes-nous encore de San-Fernando ?…

— À trois kilomètres, répondit Jacques Helloch, qui venait de consulter la carte du fleuve.

— Eh bien… ces trois kilomètres, il faut les enlever dans l’après-midi », déclara M. Miguel.

Et, s’adressant aux mariniers :