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LE SUPERBE ORÉNOQUE.

La rue principale, avec ses édifices publics, ses magasins élégants, ses galeries couvertes, les maisons échelonnées au flanc de cette colline schisteuse qui domine la cité, l’éparpillement des habitations rurales sous les arbres qui les encorbeillent, ces sortes de lacs que le fleuve forme par son élargissement en aval et en amont, le mouvement et l’animation du port, les nombreux navires à voile et à vapeur témoignant de l’activité du commerce fluvial, doublé d’un important trafic qui se fait par terre, tout cet ensemble contribue à charmer les yeux.

Par la Soledad, où doit aboutir le chemin de fer, Ciudad-Bolivar ne tardera pas à se relier avec Caracas, la capitale vénézuélienne. Ses exportations en peaux de bœufs et de cerfs, en café, en coton, en indigo, en cacao, en tabac y gagneront une extension nouvelle, si accrues qu’elles soient déjà par l’exploitation des gisements de quartz aurifère, découverts en 1840 dans la vallée du Yuruauri.

Donc, la nouvelle que les trois savants, membres de la Société de Géographie du Venezuela, allaient partir pour trancher la question de l’Orénoque et de ses deux affluents du sud-ouest, eut un vif retentissement dans le pays. Les Bolivariens sont démonstratifs, passionnés, ardents. Les journaux s’en mêlèrent, prenant parti pour les Atabaposistes, les Guaviariens et les Orénoquois. Le public s’enflamma. On eût dit vraiment que ces cours d’eau menaçaient de changer de lit, de quitter les territoires de la république, d’émigrer en quelque autre État du Nouveau-Monde, si on ne leur rendait pas justice.

Ce voyage, à la remontée du fleuve, offrait-il des dangers sérieux ? Oui, dans une certaine mesure, pour des voyageurs qui eussent été réduits à leurs seules ressources. Mais cette question vitale ne valait-elle pas que le gouvernement fit quelques sacrifices afin de la résoudre ? N’était-ce pas une occasion tout indiquée d’utiliser cette milice qui pourrait avoir deux cent cinquante mille hommes dans le rang, et qui n’en a jamais réuni plus du dixième ? Pourquoi ne pas mettre à la disposition des explorateurs une compagnie de l’armée