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LE SUPERBE ORÉNOQUE.

prêtent pas, cette manœuvre exige beaucoup de temps et d’efforts.

On le comprend, il est de première nécessité que l’on procède au déchargement des embarcations. Aucune ne pourrait franchir ces raudals, sans risquer d’y perdre sa cargaison. Il est déjà assez surprenant qu’elles puissent le faire à vide, et la plupart seraient englouties ou démolies, n’était la merveilleuse habileté des mariniers, qui les dirigent au milieu de ces tourbillons.

Les trois pirogues furent donc déchargées. On traita avec les Guahibos pour le transport des colis jusqu’au village d’Atures. Le salaire qu’ils demandent leur est ordinairement payé en étoffes, bibelots de pacotille, cigares, eau-de-vie. Il est vrai qu’ils ne refusent point les piastres, et le portage des trois falcas se régla à un prix dont ils parurent satisfaits.

Il va sans dire que les passagers ne confient pas leurs bagages à ces Indiens, en leur donnant rendez-vous au village d’Atures. Les Guahibos ne méritent pas une si absolue confiance, — loin de là, — et il est sage de ne point mettre leur probité à l’épreuve. Aussi font-ils, d’habitude, escorte aux voyageurs, et c’est ce qui eut lieu en cette occasion.

La distance de Puerto-Real au village d’Atures n’étant que de cinq kilomètres, elle eût donc pu être aisément franchie en quelques heures, même avec l’impedimentum du matériel, qui était assez encombrant, les ustensiles, les couvertures, les valises, les vêtements, les armes, les munitions, les instruments d’observation de Jacques Helloch, les herbiers, boîtes et appareils photographiques de Germain Paterne. Mais là n’était pas la difficulté. Le sergent Martial pourrait-il faire le trajet à pied ?… Sa blessure n’obligerait-elle pas à le transporter sur une civière jusqu’au village ?…

Non ! l’ancien sous-officier n’était pas une femmelette, comme il ne cessait de le répéter, et un pansement à l’épaule n’empêche pas de mettre un pied devant l’autre. Sa blessure ne le faisait aucunement souffrir, et à Jacques Helloch qui lui offrait son bras, il répondit :

« Merci, monsieur… Je marcherai d’un bon pas et n’ai besoin de personne. »