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RELÂCHE AU VILLAGE D’ATURES.

impossible de passer sans procéder au transport des bagages jusqu’à l’extrémité de l’île.

Cette opération, longue et fatigante, ne fut pas nécessaire cette fois, et, en se halant le long des berges au moyen de l’espilla, les pirogues purent doubler la pointe d’amont. Plusieurs heures furent ainsi gagnées, et la navigation régulière reprit, lorsque le soleil débordait l’horizon de quelques degrés au-dessus des cerros du Cataniapo de la rive droite.

Pendant la matinée, on put suivre assez aisément la berge, au pied des cerros, et, vers midi, les falcas s’arrêtaient au petit village de Puerto-Real. Un beau nom pour un port fluvial, où sont disséminées quelques paillotes à peine habitées.

C’est de là que s’effectue d’habitude le portage du matériel des embarcations, lequel est conduit par terre au village d’Atures, situé à cinq kilomètres au-dessus. Aussi les Guahibos recherchent-ils avec empressement cette occasion de gagner quelques piastres.

Lorsqu’on a traité avec eux, ils prennent les bagages à dos, et les passagers les suivent, laissant aux mariniers la dure tâche de traîner leurs pirogues à travers les rapides.

Ce raudal est une sorte de couloir, creusé entre les montagnes escarpées de la rive, d’une longueur de dix kilomètres. Les eaux, irritées par le resserrement du défilé où leur pente les engage, deviennent torrentueuses. D’ailleurs, la nature ne leur a pas assuré un libre passage. Le lit du fleuve, « en escalier », dit de Humboldt, est barré de corniches qui transforment le rapide en cataractes. Partout des écueils émergeant en bouquets de verdure, des rochers qui affectent la forme sphérique et semblent ne se maintenir sur leur base que par une dérogation aux lois de l’équilibre. La dénivellation du fleuve entre l’amont et l’aval est de neuf mètres. Et c’est à travers ces sas ménagés d’un barrage à l’autre, entre ces blocs semés çà et là, à la surface de ces hauts-fonds prompts à se déplacer, qu’il faut haler les bateaux. Véritable traînage sur ces seuils granitiques, et, pour peu que les circonstances climatériques ne s’y