Page:Verne - Le Superbe Orénoque, Hetzel, 1898.djvu/160

Cette page a été validée par deux contributeurs.
142
LE SUPERBE ORÉNOQUE.

Germain Paterne. Sans doute, M. Felipe dut profiter de l’absence de M. Varinas pour accabler celui-ci de toutes les foudres de son argumentation, et il est probable que M. Miguel l’écouta avec sa bienveillance ordinaire.

Bref, il n’était survenu rien d’anormal, lorsque, vers deux heures du matin, ils réintégrèrent le rouf de la Maripare, au moment où le sergent Martial venait les remplacer.

Le sergent Martial s’installa sur l’arrière de la pirogue, sa carabine à son côté, et se prit à réfléchir. Jamais il n’avait eu l’âme si pleine d’inquiétudes, — non pour lui, grand Dieu ! mais pour ce cher enfant qui dormait sous le toit de la pirogue. Il revoyait dans sa pensée tous les détails de cette campagne entreprise par Jean, à la volonté duquel il avait dû céder, le départ d’Europe, la traversée de l’Atlantique, les divers incidents survenus depuis que tous deux avaient quitté Ciudad-Bolivar… Où allaient-ils ainsi… et jusqu’où les entraînerait cette campagne de recherches ?… Quels renseignements seraient fournis à San-Fernando ?… En quelle bourgade lointaine du territoire le colonel de Kermor était-il allé enfouir les dernières années d’une existence si heureuse au début, si vite brisée par la plus épouvantable des catastrophes ?… Et, pour le retrouver, à quels dangers serait exposé le seul être qui lui restait au monde ?…

Et puis, les choses n’avaient pas marché comme le désirait le sergent Martial… Il aurait voulu que ce voyage s’accomplît sans que nul étranger se fût rencontré sur la route… Et voilà, d’abord, que la Maripare et la Gallinetta avaient navigué de conserve… Ses passagers s’étaient trouvés en relation avec son prétendu neveu, et pouvait-il en être autrement entre gens qui voyagent dans les mêmes conditions ?… En second lieu, — et c’était peut-être plus grave à son avis, et pour des raisons connues de lui seul, — la malchance venait de mettre ces deux Français sur son passage… Et comment aurait-il pu empêcher que des relations plus étroites s’établissent entre compatriotes, l’intérêt excité par le but que poursuivait Jean,