Page:Verne - Le Superbe Orénoque, Hetzel, 1898.djvu/143

Cette page a été validée par deux contributeurs.
127
TROIS PIROGUES NAVIGUANT DE CONSERVE.

cune méthode, livrée à l’avidité déraisonnable des indigènes, amènera certainement la totale destruction de ces chéloniens. Ce qui est certain, dans tous les cas, c’est que les tortues ont à peu près abandonné les plages de cette partie du bassin. Aussi, la station de Cariben, agréablement située à peu de distance en aval du Meta, l’un des grands affluents du fleuve, a-t-elle perdu toute son importance. Au lieu de devenir bourgade, elle n’est plus qu’un village à peine, et finira par descendre au rang des infimes hameaux du moyen Orénoque.

En longeant les berges granitiques d’une île qui porte le nom de Piedra del Tigre, les passagers des pirogues se trouvèrent en présence d’un curieux buffet de ces roches sonores, qui sont célèbres au Venezuela.

En premier lieu, leur oreille avait été frappée par une suite de sons musicaux très distincts, un ensemble harmonique d’une intensité particulière. Comme les falcas naviguaient alors l’une près de l’autre, on put entendre le sergent Martial s’écrier de l’avant de la Gallinetta :

« Ah çà ! quel est le chef de musique qui nous donne une pareille sérénade ?… »

Il ne s’agissait point d’une sérénade, bien que la région fût aussi espagnole de mœurs que la Castille ou l’Andalousie. Mais les voyageurs auraient pu se croire à Thèbes, au pied de la statue de Memnon.

M. Miguel s’empressa de donner l’explication de ce phénomène d’acoustique, qui n’est pas particulier à ce pays.

« Au lever du soleil, dit-il, cette musique que perçoivent nos oreilles, eût été plus perceptible encore, et voici quelle en est la cause. Ces roches contiennent en grand nombre des paillettes de mica. Sous les rayons solaires, l’air dilaté s’échappe des fissures de ces roches, et, en s’échappant, fait vibrer ces paillettes.

— Eh ! répondit Jacques Helloch, le soleil est un habile exécutant !…