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UN NUAGE DE POUSSIÈRE À L'HORIZON.

« Le feu… le feu ! » s’écria M. Marchal.

Le feu, — c’était la seule barrière que l’on pût opposer à cet envahissement.

Les habitants du village, à la pensée du danger qu’ils couraient, les femmes et les enfants, pris de panique, jetaient des cris d’épouvante…

M. Marchal avait été compris, et les passagers des pirogues, leurs équipages, tous se mirent à l’œuvre.

En avant de la bourgade s’étendaient de larges prairies, revêtues d’une herbe épaisse, que deux jours d’un soleil ardent avaient desséchée, et sur lesquelles quelques goyaviers et autres arbres dressaient leurs branches chargées de fruits.

Il ne fallait pas hésiter à sacrifier ces plantations, et il n’y eut pas une hésitation.

En dix ou douze places, à cent pas de la Urbana, le feu fut mis simultanément aux herbes. Des flammes jaillirent comme si elles sortaient des entrailles du sol. Une intense fumée vint se mêler au nuage de poussière qui se rabattait vers le fleuve.

Et, néanmoins, la masse des tortues avançait toujours, et elle avancerait, sans doute, tant que le premier rang ne serait pas atteint par l’incendie. Mais, peut-être, les derniers rangs pousseraient-ils les premiers jusque dans les flammes qui s’éteindraient alors ?…

Le péril n’aurait donc pas été conjuré, et la Urbana, écrasée, détruite, ne serait bientôt plus qu’un monceau de ruines…

Il en arriva autrement, et le moyen, proposé par M. Marchal, devait réussir.

Tout d’abord, les fauves furent accueillis par les coups de fusil du sergent Martial, de M. Miguel et de ses amis, des habitants qui étaient armés, tandis que les deux hommes, sur la masse mouvante, épuisaient contre eux leurs dernières munitions.

Pris de deux côtés, quelques-uns de ces fauves tombèrent sous les balles. Les autres, effrayés par les volutes de flammes qui tourbillonnaient, cherchèrent à s’échapper en remontant vers l’est, et ils