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M. MIGUEL ET SES DEUX COLLÈGUES.

Dans tous les cas, il se trouvait au moins deux Vénézuéliens, le susdit Varinas pour revendiquer le droit du Guaviare, le susdit Felipe pour soutenir le droit de l’Atabapo, à s’appeler Orénoque, sans compter quelques partisans qui, le cas échéant, leur prêteraient main forte.

Il ne faudrait pas croire, toutefois, que M. Miguel et ses deux amis fussent de ces vieux savants, encroûtés dans la science, au crâne dénudé, à la barbe blanche. Non ! savants, ils l’étaient et jouissaient tous les trois d’une considération méritée, qui dépassait les bornes de leur pays. Le plus âgé, M. Miguel, avait quarante-cinq ans, les deux autres quelques années de moins. Hommes très vifs, très démonstratifs, ils ne démentaient pas leur origine basque, qui est celle de l’illustre Bolivar et du plus grand nombre des blancs dans ces républiques de l’Amérique méridionale, ayant parfois un peu de sang corse et de sang indien dans les veines, mais pas un seul globule de sang nègre.

Ces trois géographes se rencontraient chaque jour à la bibliothèque de l’Université de Ciudad-Bolivar. Là, MM. Varinas et Felipe, si décidés qu’ils fussent à ne point la recommencer, se laissaient emporter dans une discussion interminable au sujet de l’Orénoque… Même après l’exploration si probante du voyageur français, les défenseurs de l’Atabapo et du Guaviare s’obstinaient dans leur dire.

On l’a vu par les quelques répliques rapportées au début de cette histoire. Et la dispute allait, continuant de plus belle, en dépit de M. Miguel, impuissant à modérer les vivacités de ses deux collègues.

C’était pourtant un personnage qui imposait avec sa haute taille, sa noble figure aristocratique, sa barbe brune à laquelle se mêlaient quelques poils argentés, l’autorité de sa situation, et le chapeau tromblon dont il se coiffait à l’exemple du fondateur de l’indépendance hispano-américaine.

Et, ce jour-là, M. Miguel de répéter d’une voix pleine, calme, pénétrante :