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LE SUPERBE ORÉNOQUE.

En effet, le plus sage était de regagner les falcas, puisque la nuit promettait d’être sèche et calme. On serait mieux couché sur l’estera des roufs que sur le sol de la paillote indienne.

Le lendemain, dès l’aube, les passagers étaient prêts à quitter Buena Vista. Non seulement le soleil se levait sur un horizon assez pur, mais le vent halait le nord-est, et les voiles pourraient être substituées aux palancas.

Il n’y avait d’ailleurs que peu de route à faire jusqu’à la bourgade de la Urbana, où la relâche durerait vingt-quatre heures. S’il ne survenait aucun incident, les falcas y arriveraient dans l’après-midi.

M. Miguel et ses deux amis, le sergent Martial et Jean de Kermor prirent congé de l’Indien et de sa famille. Puis, leurs voiles hissées, la Gallinetta et la Maripare s’engagèrent entre les passes que les battures sablonneuses ménageaient entre elles. Il eût suffi d’une crue un peu forte pour recouvrir tous ces bancs et donner au fleuve une largeur de plusieurs kilomètres.

À bord de leur pirogue, le sergent Martial et le jeune garçon s’étaient placés en avant du rouf afin de respirer cet air vif et salubre d’une belle matinée. La voile les protégeait contre les rayons du soleil, déjà brillant à son lever.

Le sergent Martial, sous l’influence de la conversation de la veille, et dont il avait saisi une partie, prit la parole en ces termes :

« Dis un peu, Jean, est-ce que tu crois à toutes ces histoires de l’Indien ?…

— Lesquelles ?…

— Ces milliers et milliers de tortues qui se promènent dans les environs comme une armée en campagne…

— Pourquoi non ?…

— Ça me paraît bien extraordinaire ! Des légions de rats, je ne dis pas… on en a vu… mais des légions de ces grosses bêtes longues d’un mètre…

— On en a vu aussi.

— Qui les a vues ?…