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« comme un linceul qui s’entrouvre ! »

de soixante, filant au plus près par fraîche brise ! Le vent, monsieur Jeorling, même quand il faut le pincer à cinq quarts, cela suffit et un marin n’a pas besoin de roulettes à sa coque ! »

Je n’avais point à contrarier les idées du bosseman relativement à l’emploi de la vapeur en navigation. On en était encore aux tâtonnements, et l’hélice n’avait pas remplacé les aubes. Quant à l’avenir, qui eût pu le prévoir ?…

Et, en ce moment, il me revint à la mémoire que la Jane — cette Jane dont le capitaine Len Guy m’avait parlé comme si elle eût existé, comme s’il l’eût vue de ses propres yeux — s’était rendue, précisément en quinze jours, de l’île du Prince-Édouard à Tristan d’Acunha. Il est vrai, Edgar Poe disposait à son gré des vents et de la mer.

Au surplus, pendant la quinzaine qui suivit, le capitaine Len Guy ne m’entretint plus d’Arthur Pym. Il ne semblait même pas qu’il m’eût jamais rien dit des aventures de ce héros des mers australes. S’il avait espéré, d’ailleurs, me convaincre de leur authenticité, il aurait fait preuve de médiocre intelligence. Je le répète, comment un homme de bon sens aurait-il consenti à discuter sérieusement sur cette matière ? À moins d’avoir perdu la raison, d’être tout au moins un monomane sur ce cas spécial, comme l’était Len Guy, personne — je le répète pour la dixième fois, — personne ne pouvait voir autre chose qu’une œuvre d’imagination dans le récit d’Edgar Poe.

Qu’on y songe ! D’après ledit récit, une goélette anglaise se serait avancée jusqu’au quatre-vingt-quatrième degré de latitude sud, et ce voyage n’aurait pas pris l’importance d’un grand fait géographique ?… Arthur Pym, revenu des profondeurs de l’Antarctide, n’eût pas été mis au-dessus des Cook, des Weddell, des Biscoe ?… À lui comme à Dirk Peters, les deux passagers de la Jane, qui se seraient même élevés au-dessus dudit parallèle, on n’aurait pas rendu des honneurs publics ?… Et que penser de cette mer libre découverte par eux… de cette vitesse extraordinaire des courants qui les entraînaient vers le pôle… de la température anormale de ces