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le sphinx des glaces

horaire, le capitaine Len Guy, à mon extrême surprise, monta sur le pont, suivit une des coursives latérales au rouf, et vint se poster à l’arrière, devant l’habitacle, dont il regarda le cadran, plutôt par habitude que par nécessité.

Assis près du couronnement, avais-je été seulement aperçu du capitaine ?… Je n’aurais pu le dire, et il est certain que ma présence n’attira point son attention.

J’étais, pour ma part, très résolu à ne pas plus m’occuper de lui qu’il ne s’occupait de moi, et je restai accoudé contre la lisse.

Le capitaine Len Guy fit quelques pas, se pencha au-dessus du bastingage, observa le long sillage traînant à l’arrière, qui ressemblait à un ruban de dentelle blanche étroit et plat, tant les fines façons de la goélette se dérobaient rapidement à la résistance des eaux.

En cet endroit, on ne pouvait alors être entendu que d’une seule personne, — l’homme de barre, le matelot Stern, qui, la main sur les poignées de la roue, maintenait l’Halbrane contre les capricieuses embardées que provoque l’allure du grand largue.

Il paraît, toutefois, que, de cela, le capitaine Len Guy ne s’inquiétait guère, car il s’approcha de moi et, de sa voix toujours chuchotante, me dit :

« Monsieur… j’aurais à vous parler…

— Je suis prêt à vous entendre, capitaine.

— Je ne l’ai pas fait jusqu’à aujourd’hui… étant d’un naturel peu causeur… je l’avoue… Et puis… auriez-vous pris intérêt à ma conversation ?…

— Vous avez tort d’en douter, répliquai-je, et votre conversation ne peut qu’être des plus intéressantes. »

Je pense qu’il ne vit rien d’ironique dans cette réponse, — ou, du moins, il ne le témoigna pas.

« Je vous écoute », ajoutai-je.

Le capitaine Len Guy sembla hésiter, montrant l’attitude d’un homme qui, sur le point de parler, se demande s’il ne ferait pas mieux de se taire.