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le sphinx des glaces

que la banquise pût être contournée, — et aussi que les navires n’eussent pas abandonné les lieux de pêche.

Actuellement, le soleil se traînait presque au ras de l’horizon, et l’époque approchait où tout le domaine de l’Antarctide serait enveloppé des ténèbres de la nuit polaire. Fort heureusement, à s’élever vers le nord, nous gagnions des parages d’où la lumière n’était pas bannie encore.

Nous fûmes alors témoins d’un phénomène aussi extraordinaire que ceux dont est rempli le récit d’Arthur Pym. Pendant trois à quatre heures, de nos doigts, de nos cheveux, de nos poils de barbe, s’échappèrent de courtes étincelles, accompagnées d’un bruit strident. C’était une tempête de neige électrique, aux gros flocons peu serrés, dont le contact produisait des aigrettes lumineuses. Le Paracuta fut plusieurs fois à l’instant d’être englouti, tant la mer déferlait avec fureur, mais on s’en tira sains et saufs.

Cependant, l’espace ne s’éclairait déjà plus que d’une manière imparfaite. De fréquentes brumes réduisaient à quelques encablures seulement l’extrême portée de la vue. Aussi la surveillance dut-elle être établie de manière à éviter toute collision avec les glaces flottantes, dont la vitesse de déplacement était inférieure à celle du Paracuta. Il y a également lieu de noter que, du côté du sud, le ciel s’illuminait souvent de larges lueurs, dues à l’irradiation des aurores polaires.

La température s’abaissait d’une manière assez sensible, et n’était plus que de vingt-trois degrés (5 °C. sous zéro).

Cet abaissement ne laissait pas de causer de vives inquiétudes. S’il ne pouvait influencer les courants dont la direction restait favorable, il tendait à modifier l’état atmosphérique. Par malheur, pour peu que le vent mollît avec l’accentuation du froid, la marche du canot serait diminuée de moitié. Or, un retard de deux semaines suffirait à compromettre notre salut en nous obligeant à hiverner au pied de la banquise. Dans ce cas, ainsi que je l’ai dit, mieux vaudrait essayer de revenir au campement d’Halbrane-Land. Serait-il libre alors,