Ce fut le 21 février, à six heures du matin, que l’embarcation, dans laquelle nous étions au nombre de treize, quitta la petite crique et doubla la pointe d’Halbrane-Land.
Dès l’avant-veille nous avions discuté la question du départ. Si elle devait être résolue affirmativement, il ne fallait pas différer d’un jour à prendre le large. Pendant un mois encore — un mois au plus, — la navigation serait possible sur cette portion de mer comprise entre les quatre-vingt-sixième et soixante-dixième parallèles, c’est-à-dire jusqu’aux latitudes ordinairement barrées par la banquise. Puis, au-delà, si nous parvenions à nous dégager, peut-être aurions-nous la chance de rencontrer quelque baleinier finissant la saison de pêche, ou, — qui sait ? — un bâtiment anglais, français ou américain, achevant une campagne de découvertes sur les limites de l’océan austral ?… Passé la mi-mars, ces parages seraient délaissés des navigateurs comme des pêcheurs, et tout espoir d’être recueilli devrait être abandonné.
On s’était d’abord demandé s’il n’y aurait pas avantage à hiverner là où nous eussions été contraints de le faire avant l’arrivée de William Guy, à s’installer pour les sept ou huit mois d’hiver de cette région que les longues ténèbres et les froids excessifs ne tarderaient pas d’envahir. Au commencement de l’été prochain, alors que la mer serait redevenue libre, l’embarcation aurait fait route vers l’océan Pacifique, et nous aurions eu plus de temps pour franchir le millier de milles qui nous en séparaient. N’eût-ce pas été acte de prudence et de sagesse ?…
Cependant, si résignés que nous fussions, comment ne pas s’effrayer à la pensée d’un hivernage sur cette côte, bien que la caverne nous offrît un suffisant abri, bien que les conditions de la vie y fussent assurées, du moins en ce qui concernait la nourriture ?… Oui ! résignés… on l’est tant que la résignation est commandée par les circonstances… Mais, à présent que l’occasion se présentait de partir, comment ne pas faire un dernier effort en vue d’un prochain rapatriement, comment ne pas tenter ce qu’avait tenté Hearne avec