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le sphinx des glaces

Je dois l’avouer, si nous avions eu le choix ou d’accoster ce littoral ou de continuer notre marche, je ne sais trop ce qui eût été préférable.

J’en causais avec le capitaine Len Guy et le lieutenant, lorsque Jem West m’interrompit, disant :

« Je vous demanderai à quoi bon discuter cette éventualité, monsieur Jeorling ?…

— Soit, à quoi bon, puisque nous n’y pouvons rien, ajouta le capitaine Len Guy. Il est possible que l’ice-berg vienne buter contre cette côte, comme il est possible qu’il la contourne, s’il se maintient dans le courant.

— Juste, repris-je, mais ma question n’en subsiste pas moins. Avons-nous avantage à débarquer ou à rester ?…

À rester », répondit Jem West.

En effet, si le canot eût pu nous emmener tous avec des provisions pour une navigation de cinq à six semaines, nous n’aurions pas hésité à y prendre passage, afin de piquer, grâce au vent du sud, à travers la mer libre. Mais, étant donné que le canot ne suffirait qu’à onze ou douze hommes au plus, il aurait fallu les tirer au sort. Et ceux qu’il n’emporterait pas, ne seraient-ils pas condamnés à périr, par le froid sinon par la faim, sur cette terre que l’hiver ne tarderait pas à couvrir de ses frimas et de ses glaces ?…

Or, si l’ice-berg continuait à dériver suivant cette direction, ce serait une grande partie de notre route faite dans des conditions acceptables, après tout. Notre véhicule de glace, il est vrai, pouvait nous manquer, s’échouer de nouveau, culbuter même, ou tomber dans quelque contre-courant qui le rejetterait hors de l’itinéraire, tandis que le canot, en obliquant sur le vent, lorsqu’il deviendrait contraire, eût pu nous conduire au but, si les tempêtes ne l’assaillaient pas et si la banquise lui offrait une passe…

Mais, ainsi que venait de le dire Jem West, y avait-il lieu de discuter cette éventualité ?…

Après le dîner, l’équipage se porta vers le plus haut bloc sur lequel