Le fait est que le bosseman avait risqué d’être précipité de bloc en bloc jusqu’à la mer.
Dans l’après-midi, ce jour-là, nos oreilles furent atrocement écorchées par des braiements qui montaient d’en bas. Ainsi que le fit observer Hurliguerly, du moment que ce n’étaient pas des ânes qui poussaient ces braiements, c’étaient des pingouins. Jusqu’ici, ces innombrables hôtes des régions polaires n’avaient point jugé à propos de nous accompagner sur notre îlot mouvant, et, alors que la vue pouvait s’étendre au large, nous n’en avions pas aperçu un seul, — ni au pied de l’ice-berg ni sur les glaçons en dérive. À présent, nul doute qu’ils fussent là par centaines ou par milliers, car le concert s’accentuait avec une intensité qui témoignait du nombre des exécutants.
Or, ces volatiles habitent plus volontiers soit les marges littorales des continents et des îles de ces hautes latitudes, soit les ice-fields qui les avoisinent. Leur présence n’indiquait-elle pas la proximité d’une terre ?…
Je le sais, nous étions dans une disposition d’esprit à nous raccrocher à la moindre lueur d’espoir, comme l’homme, en danger de se noyer, se raccroche à une planche, — la planche de salut !… Et que de fois elle s’enfonce ou se brise au moment où l’infortuné vient de la saisir !… N’était-ce pas le sort qui nous attendait sous ce terrible climat ?…
Je demandai au capitaine Guy quelles conséquences il tirait de la présence de ces oiseaux.
« Ce que vous en pensez, monsieur Jeorling, me répondit-il. Depuis que nous sommes en dérive, aucun d’eux n’avait encore cherché refuge sur l’ice-berg, et, actuellement, les y voici en foule, si nous en jugeons par leurs cris assourdissants. D’où sont-ils venus ?… À n’en pas douter, d’une terre dont nous sommes peut-être assez près…
— Est-ce aussi l’avis du lieutenant ? demandai-je.
— Oui, monsieur Jeorling, et vous savez s’il est homme à se forger des chimères !