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le sphinx des glaces

— Notre deuil, Hurliguerly, et de quoi ?…

— Du pôle Sud, dont nous n’avons pas même aperçu la pointe !

— Oui… et qui doit être maintenant à quelque vingtaine de milles en arrière…

— Que voulez-vous, le vent a soufflé sur cette lampe australe, et elle était éteinte au moment où nous sommes passés…

— Voilà une occasion que nous ne rencontrerons plus guère, j’imagine…

— Comme vous dites, monsieur Jeorling, et nous pouvons renoncer à jamais sentir le bout de la broche terrestre tourner entre nos doigts !

— Vous avez d’heureuses comparaisons, bosseman.

— Et à ce que je viens de dire, j’ajoute que notre véhicule de glace nous charrie au diable, et pas précisément dans la direction du Cormoran-Vert !… Allons… allons… campagne inutile, campagne manquée… et qu’on ne recommencera pas de sitôt… En tout cas, campagne à finir, et sans flâner en route, car l’hiver ne tardera pas à montrer son nez rouge, ses lèvres gercées et ses mains crevassées d’engelures !… Campagne pendant laquelle le capitaine Len Guy n’a point retrouvé son frère, — ni nous nos compatriotes, — ni Dirk Peters son pauvre Pym !… »

Vrai, tout cela, et c’était le résumé de nos déboires, de nos déconvenues, de nos déceptions ! Sans parler de l’Halbrane anéantie, cette expédition comptait déjà neuf victimes. De trente-deux qui avaient embarqué sur la goélette, nous étions réduits à vingt-trois, et à quel chiffre tomberions-nous encore ?…

En effet, du pôle austral au cercle antarctique, on compte une vingtaine de degrés, soit douze cents milles marins, et il serait nécessaire de les franchir en un mois ou six semaines au plus, sinon la banquise se trouverait reformée et refermée !… Quant à un hivernage dans cette partie de l’Antarctide, personne de nous n’eût pu y survivre.

D’ailleurs, nous avions perdu tout espoir de recueillir les survi-