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le sphinx des glaces

« Monsieur… » lui dis-je, d’un ton sec et froid — froid comme le temps depuis que les vents soufflaient de l’est.

Le capitaine Len Guy me regarda fixement, et je fus frappé de la tristesse de ses yeux d’un noir d’encre. Puis, la voix basse, les paroles à peine chuchotées :

« Vous êtes étranger ?… me demanda-t-il.

— Étranger aux Kerguelen… oui, répondis-je.

— De nationalité anglaise ?…

— Non… américaine. »

Il me salua d’un geste bref, et je lui rendis le même salut.

« Monsieur, repris-je, j’ai lieu de croire que maître Atkins, du Cormoran-Vert, vous a touché quelques mots d’une proposition à mon sujet. Cette proposition, ce me semble, méritait un accueil favorable de la part d’un…

— La proposition d’embarquer sur ma goélette ?… répondit le capitaine Len Guy.

— Précisément.

— Je regrette, monsieur, de n’avoir pu donner suite à cette demande…

— Me direz-vous pourquoi ?…

— Parce que je n’ai pas l’habitude d’avoir des passagers à mon bord, — première raison.

— Et la seconde, capitaine ?…

— Parce que l’itinéraire de l’Halbrane n’est jamais arrêté d’avance. Elle part pour un port et va à un autre, suivant que j’y trouve mon avantage. Apprenez, monsieur, que je ne suis point au service d’un armateur. La goélette m’appartient en grande partie, et je n’ai d’ordre à recevoir de personne pour ses traversées.

— Alors il ne dépend que de vous, monsieur, de m’accorder passage…

— Soit, mais je ne puis vous répondre que par un refus — à mon extrême regret.

— Peut-être changerez-vous d’avis, capitaine, lorsque vous saurez