Page:Verne - Le Sphinx des Glaces, 1897.djvu/396

Cette page a été validée par deux contributeurs.
360
le sphinx des glaces

Holt m’a tiré à part… loin des autres… et m’a dit qu’il voulait me parler…

— Du Grampus ?…

— Du Grampus… oui… et de son frère Ned Holt !… Pour la première fois… il a prononcé ce nom devant moi… le nom de celui que… et… pourtant… voici tantôt trois mois que nous naviguons ensemble… »

La voix du métis était si altérée, que je l’entendais à peine.

« Comprenez… reprit-il, il m’a semblé que, dans l’esprit de Martin Holt… non !… je ne m’y suis pas trompé… il y avait comme un soupçon…

— Mais parlez donc, Dirk Peters !… m’écriai-je. Que vous a demandé Martin Holt ? »

Et je sentais bien que cette question de Martin Holt, c’était Hearne qui l’avait inspirée. Néanmoins, ayant lieu de penser que le métis ne devait rien savoir de cette intervention du sealing-master, aussi inquiétante qu’inexplicable, je me décidai à ne point la lui révéler.

« Ce qu’il m’a demandé, monsieur Jeorling ?… répondit-il. Il m’a demandé… si je ne me souvenais pas de Ned Holt, du Grampus… s’il avait péri dans la lutte contre les révoltés ou dans le naufrage… s’il était un de ceux qui avaient été abandonnés en mer avec le capitaine Barnard… enfin… si je pouvais lui dire comment son frère était mort… Ah ! comment… comment… »

Avec quelle horreur le métis prononçait ces mots, qui témoignaient d’un si profond dégoût de lui-même !

« Et qu’avez-vous répondu à Martin Holt, Dirk Peters ?…

— Rien… rien !

— Il fallait affirmer que Ned Holt avait péri dans le naufrage du brick…

— Je n’ai pas pu… comprenez-moi… je n’ai pas pu…

Les deux frères se ressemblent tant !… Dans Martin Holt… j’ai cru voir Ned Holt !… J’ai eu peur… je me suis sauvé… »