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que faire ?…

Enfin l’instinct de la conservation l’emporta, et, — sinon Hearne, qui, à l’écart, affectait de se taire, — du moins ses camarades s’écrièrent-ils :

« Au canot… au canot ! »

Ces malheureux ne se possédaient plus. L’épouvante les égarait. Ils venaient de s’élancer vers l’anfractuosité où notre unique embarcation, insuffisante pour tous, avait été mise à l’abri depuis le déchargement de la goélette.

Le capitaine Len Guy et Jem West se jetèrent hors du campement.

Je les rejoignis aussitôt, suivi du bosseman. Nous étions armés, et décidés à faire usage de nos armes. Ce canot, il fallait empêcher ces furieux de s’en emparer… Il n’était pas la propriété de quelques-uns… mais celle de tous !…

« Ici… matelots !… cria le capitaine Len Guy.

— Ici, répéta Jem West, ou feu sur le premier qui fera un pas de plus ! »

Tous deux, la main tendue, les menaçaient de leurs pistolets. Le bosseman braquait son fusil sur eux… Je tenais ma carabine, prêt à l’épauler…

Ce fut en vain !… Ces affolés n’entendaient rien, ne voulaient rien entendre, et l’un d’eux, au moment où franchissait le dernier bloc, tomba frappé par la balle du lieutenant. Ses mains ne purent se raccrocher au talus, et, glissant sur les revers glacés, il disparut dans l’abîme.

Était-ce donc le début d’un massacre ?… D’autres allaient-ils se faire tuer à cette place ?… Les anciens de l’équipage prendraient-ils parti pour les nouveaux ?…

Je pus remarquer, en ce moment, que Hardie, Martin Holt, Francis, Burry, Stern, hésitaient à se ranger de notre côté, — alors que Hearne, immobile à quelques pas de là, se gardait de donner une marque d’encouragement aux révoltés.

Cependant, nous ne pouvions les laisser maîtres du canot, maîtres