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l’ice-berg culbuté

transformé en présence des périls de l’avenir. Jusqu’ici, tout à la pensée de retrouver ses compatriotes, il avait laissé au lieutenant le commandement de la goélette, et il n’aurait pu s’en remettre à un second plus capable, plus dévoué. Mais, à partir de ce jour, il allait reprendre ses fonctions de chef, les exercer avec l’énergie exigée par les circonstances, redevenir comme à bord le maître après Dieu.

Par son ordre, les hommes vinrent se ranger autour de lui sur un plateau, un peu à la droite de l’Halbrane. Là étaient rassemblés, — du côté des anciens, les maîtres Martin Holt et Hardie, les matelots Rogers, Francis, Gratian, Burry, Stern, le cuisinier Endicott, et j’y ajoute Dirk Peters — du côté des nouveaux, Hearne et les quatorze autres marins des Falklands. Ces derniers composaient un groupe à part, dont le porte-parole était le sealing-master, qui avait sur eux une influence détestable.

Le capitaine Len Guy jeta un regard ferme à tout son équipage, et d’une voix vibrante :

« Matelots de l’Halbrane, dit-il, j’ai d’abord à vous parler de ceux qui ont disparu. Cinq de nos compagnons viennent de périr dans cette catastrophe…

— En attendant que nous périssions à notre tour dans ces mers où l’on nous a entraînés malgré…

— Tais-toi, Hearne, s’écria Jem West, pâle de colère, tais-toi, ou sinon…

— Hearne a dit ce qu’il avait à dire, reprit froidement le capitaine Len Guy, et puisque c’est fait, je l’engage à ne pas m’interrompre une seconde fois ! »

Peut-être le sealing-master eût-il répliqué, car il se sentait soutenu par la majorité de l’équipage. Mais Martin Holt alla vivement à lui, le retint, et il se tut.

Le capitaine Len Guy se découvrit alors, et, avec une émotion qui nous pénétra jusqu’au fond de l’âme, il prononça ces paroles :

« Nous avons à prier pour ceux qui ont succombé dans cette périlleuse campagne, entreprise au nom de l’humanité. Que Dieu