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le sphinx des glaces

venait de s’offrir à mon esprit, — argument dont la valeur ne pouvait être contestée.

Je pris donc la parole, résolu à le soutenir envers et contre tous, et je le fis avec un tel accent de conviction que personne n’essaya de m’interrompre.

En substance, je dis ceci :

« Non ! tout espoir ne doit pas être abandonné… La terre ne peut être loin… Nous n’avons pas en face de nous une de ces banquises qui ne se forment qu’en plein océan par l’accumulation des glaces… Ce sont des ice-bergs, et ces ice-bergs ont nécessairement dû se détacher d’une base solide, d’un continent ou d’une île… Or, puisque c’est à cette époque de l’année que commence la débâcle, la dérive ne les a entraînés que depuis très peu de temps… Derrière eux, nous devons rencontrer la côte sur laquelle ils se sont formés… Encore vingt-quatre heures, quarante-huit heures au plus, et si la terre ne se montre pas, le capitaine Len Guy remettra le cap au nord !… »

Avais-je convaincu l’équipage, ou devais-je le tenter par l’appât d’une surprime, profiter de ce que Hearne n’était pas au milieu de ses camarades, qu’il ne pouvait correspondre avec eux, les exciter, leur crier qu’on les leurrait une dernière fois, leur répéter que ce serait entraîner la goélette à sa perte…

Ce fut le bosseman qui me vint en aide, et, d’un ton de belle humeur :

« Très bien raisonné, dit-il, et pour mon compte, je me rends à l’opinion de monsieur Jeorling… Assurément la terre est proche… En la cherchant au-delà de ces ice-bergs, nous la découvrirons sans grandes fatigues ni grands dangers… Un degré au sud, qu’est-ce cela, quand il s’agit de fourrer quelque centaine de dollars de plus dans sa poche ?… Et n’oublions pas que s’ils sont agréables quand ils y entrent, ils ne le sont pas moins quand ils en sortent !… »

Et, là-dessus, le cuisinier Endicott de prêter assistance à son ami le bosseman.