Page:Verne - Le Sphinx des Glaces, 1897.djvu/324

Cette page a été validée par deux contributeurs.
296
le sphinx des glaces

moins, je n’avais pas échangé un mot avec lui. Évidemment mis en quarantaine, dès qu’il paraissait sur le pont, on s’écartait de lui. Allait-il s’accouder à bâbord, l’équipage se portait aussitôt à tribord. Seul le bosseman, affectant de ne pas s’éloigner, lui adressait la parole. Il est vrai, ses questions restaient généralement sans réponse.

Je dois dire, d’ailleurs, que Dirk Peters ne s’inquiétait aucunement de cet état de choses. Absorbé dans ses obsédantes pensées, peut-être ne le voyait-il pas. Je le répète s’il eût entendu Jem West crier : Cap au nord ! je ne sais à quels actes de violence il se fût porté !…

Et, puisqu’il semblait m’éviter, je me demandais si cela ne provenait pas d’un certain sentiment de réserve, et « pour ne pas me compromettre davantage ».

Cependant, le 17, dans l’après-midi, le métis manifesta l’intention de me parler, et jamais… non ! jamais je n’aurais pu imaginer ce que j’allais apprendre dans cet entretien.

Il était environ deux heures et demie.

Un peu fatigué, mal à l’aise, je venais de rentrer dans ma cabine, dont le châssis latéral était ouvert, tandis que celui d’arrière était fermé.

Un léger coup fut frappé à ma porte, qui donnait sur le carré du rouf.

« Qui est là ?… dis-je.

— Dirk Peters.

— Vous avez à me parler ?…

— Oui.

— Je vais sortir…

— S’il vous plaît… je préférerais… Puis-je entrer dans votre cabine ?…

— Entrez. »

Le métis poussa la porte et la referma.

Sans me lever de mon cadre, sur lequel j’étais étendu, je lui fis signe de s’asseoir sur le fauteuil.