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du 29 décembre au 9 janvier.

— Aucune, monsieur !… Le pauvre Pym ne possédait plus d’instruments… vous savez… des machines de marine… pour regarder le soleil… On ne pouvait pas savoir… Tout de même, pendant les huit jours, le courant nous a poussés vers le sud… et le vent aussi… Bonne brise et mer belle… Deux pagaies plantées sur le plat-bord en guise de mât… et nos chemises en guise de voile…

— Oui, répondis-je, des chemises de toile blanche, dont la couleur effrayait tant votre prisonnier Nu-Nu…

— Peut-être… Je ne me rendais pas bien compte… Mais si Pym l’a dit, il faut croire Pym ! »

Je n’en étais plus à savoir que quelques-uns des phénomènes décrits dans le journal rapporté aux États-Unis par le métis ne semblaient pas avoir attiré son attention. Aussi m’entêtais-je à cette idée que ces phénomènes n’avaient dû exister que dans une imagination surexcitée outre mesure. Toutefois, je voulus presser plus vivement Dirk Peters à ce sujet.

« Et, pendant ces huit jours, ai-je repris, vous avez pu pourvoir à votre nourriture ?…

— Oui… monsieur… et les jours après… nous et le sauvage… Vous savez… les trois tortues qui étaient à bord… Ces bêtes, ça contient une provision d’eau douce… et leur chair est bonne… même crue… Oh ! la chair crue… monsieur !… »

En prononçant ces derniers mots, Dirk Peters, baissant la voix comme s’il eût craint d’être entendu, jeta un rapide regard autour de lui…

Ainsi, cette âme frissonnait toujours à l’impérissable souvenir des scènes du Grampus !… On ne saurait se figurer l’effroyable expression peinte sur la figure du métis au moment où il parla de chair crue !… Et non pas l’expression d’un cannibale de l’Australie ou des Nouvelles-Hébrides, mais celle d’un homme qui éprouve une insurmontable horreur de lui-même !

Après un assez long silence, je ramenai la conversation vers son but.