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le sphinx des glaces

doute, compris que je m’intéressais au sort d’Arthur Pym, il me recherchait, et, pour employer une expression vulgaire, « nous nous entendions », sans qu’il fût nécessaire d’échanger une seule parole. Parfois, cependant, il se départissait, vis-à-vis de moi, de son mutisme habituel. Lorsque le service ne le réclamait pas, il se glissait vers le banc où je m’asseyais volontiers, derrière le rouf. À trois ou quatre reprises, quelques tentatives d’entretien avaient été ébauchées entre nous. D’ailleurs, sitôt que le capitaine Len Guy, le lieutenant ou le bosseman nous rejoignaient, il s’éloignait.

Ce jour-là, vers dix heures, Jem West étant de quart, et le capitaine Len Guy enfermé dans sa cabine, le métis longea la coursive à petits pas avec l’évidente intention de converser, — et sur quel sujet, on le devine sans peine.

Dès qu’il fut près du banc :

« Dirk Peters, dis-je, afin d’entrer directement en matière, voulez-vous que nous parlions de lui ?… »

Les prunelles du métis flamboyèrent comme une braise sur laquelle on vient de souffler.

« Lui !… murmura-t-il.

— Vous êtes resté fidèle à son souvenir, Dirk Peters !

— L’oublier… monsieur ?… Jamais !

— Il est toujours là… devant vous…

— Toujours !… Comprenez-moi… tant de dangers courus ensemble !… Ça fait de vous des frères, non !… un père et son fils !… Oui !… je l’aime comme mon enfant !… Avoir été tous deux si loin… trop loin… lui… puisqu’il n’est pas revenu !… On m’a revu au pays d’Amérique, moi… mais Pym… le pauvre Pym… il est encore là-bas !… »

Les yeux du métis se mouillèrent de grosses larmes !… Et, comment ne se vaporisaient-elles pas à l’ardente flamme qui jaillissait de ses yeux ?…

« Dirk Peters, lui demandai-je, vous n’avez aucune idée de la route qu’Arthur Pym et vous avez suivie à bord du canot depuis votre départ de l’île Tsalal ?…