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décision prise.

maintenant, — ses façons bizarres depuis que la goélette avait franchi le cercle antarctique, depuis qu’elle naviguait sur les eaux de cette mer libre… ses regards incessamment dirigés vers l’horizon du sud… sa main qui, par un mouvement instinctif, se tendait dans cette direction… Puis, c’était l’îlot Bennet qu’il semblait avoir visité déjà, et sur lequel il avait ramassé un débris de bordage de la Jane, et, enfin, l’île Tsalal… Là, il avait pris les devants, et nous l’avions suivi comme un guide à travers la plaine bouleversée, jusqu’à l’emplacement du village de Klock-Klock, à l’entrée du ravin, près de cette colline où se creusaient les labyrinthes dont il ne restait aucun vestige… Oui… tout cela aurait dû nous tenir en éveil, faire naître — en moi au moins — la pensée que ce Hunt avait pu être mêlé aux aventures d’Arthur Pym !…

Eh bien, non seulement le capitaine Len Guy, mais aussi son passager Jeorling avaient une taie sur l’œil !… Je l’avoue, nous étions deux aveugles, alors que certaines pages du livre d’Edgar Poe auraient dû nous rendre très clairvoyants !

En somme, il n’y avait pas à mettre en doute que Hunt fût réellement Dirk Peters. Quoique plus vieux de onze ans, il était encore tel que l’avait dépeint Arthur Pym. Il est vrai, l’aspect féroce dont parle le récit n’existait plus, et, d’ailleurs, d’après Arthur Pym lui-même, ce n’était qu’« une férocité apparente ». Donc, au physique, rien de changé, — la petite taille, la puissante musculature, les membres « coulés dans un moule herculéen », et ses mains « si épaisses et si larges qu’elles avaient à peine conservé la forme humaine », et ses bras et ses jambes arquées, et sa tête d’une grosseur prodigieuse, et sa bouche fendue sur toute la largeur de la face, et « ses dents longues que les lèvres ne recouvraient jamais même partiellement ». Je le répète, ce signalement s’appliquait à notre recrue des Falklands. Mais on ne retrouvait plus sur son visage cette expression qui, si elle était le symptôme de la gaieté, ne pouvait être que « la gaieté d’un démon » !

En effet, le métis avait changé avec l’âge, l’expérience, les à-coups