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le sphinx des glaces

Or, d’être séquestré au milieu des glaces pendant sept ou huit mois, sans même être assuré d’accoster quelque part, cela ne ferait-il pas reculer les plus braves ? La vie de nos hommes, leurs chefs avaient-ils le droit de la risquer pour cet infime espoir de recueillir les survivants de la Jane introuvés sur l’île Tsalal ?…

C’est à cela qu’avait réfléchi le capitaine Len Guy depuis la veille. Puis, le cœur brisé, n’ayant plus aucun espoir de rencontrer son frère et ses compatriotes, il venait de commander, d’une voix que l’émotion faisait trembler :

« À demain le départ, dès la première heure ! »

Et, à mon sens, il lui fallait autant d’énergie morale pour revenir en arrière qu’il en avait montré pour aller en avant. Mais sa résolution était prise, et il saurait refouler en lui l’inexprimable douleur que lui causait l’insuccès de cette campagne.

En ce qui me concerne, je l’avoue, j’éprouvais un vif désappointement, on ne peut plus chagriné que notre expédition finît dans ces conditions désolantes. Après m’être si passionnément attaché aux aventures de la Jane, j’aurais voulu ne point suspendre les recherches, tant qu’il serait possible de les continuer à travers les parages de l’Antarctide…

Et, à notre place, combien de navigateurs auraient eu à cœur de résoudre le problème géographique du pôle austral ! En effet, l’Halbrane s’était avancée au-delà des régions visitées par les navires de Weddell, puisque l’île Tsalal gisait à moins de sept degrés du point où se croisent les méridiens. Aucun obstacle ne semblait s’opposer à ce qu’elle pût s’élever aux dernières latitudes. Grâce à cette saison exceptionnelle, vents et courants la conduiraient peut-être à l’extrémité de l’axe terrestre, dont elle n’était éloignée que de quatre cents milles ?… Si la mer libre s’étendait jusque-là, ce serait l’affaire de quelques jours… S’il existait un continent, ce serait l’affaire de quelques semaines… Mais, en réalité, personne de nous ne songeait au pôle Sud, et ce n’était pas pour le conquérir que l’Halbrane avait affronté les dangers de l’océan Antarctique !