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le sphinx des glaces

milières… Il parle d’arbres dont aucun ne ressemblait aux produits de la zone torride, ni de la zone tempérée, ni de la zone glaciale du nord, ni à ceux des latitudes inférieures méridionales, — ce sont ses propres expressions… Il parle de roches d’une structure nouvelle, soit par leur masse, soit par leur stratification… Il parle de ruisseaux prodigieux, dont le lit contenait un liquide indescriptible sans apparence de limpidité, une sorte de dissolution de gomme arabique, partagée en veines distinctes, qui offrait tous les chatoiements de la soie changeante, et que la puissance de cohésion ne rapprochait pas, après qu’une lame de couteau les avait divisées…

Eh bien, il n’y avait rien — ou il n’y avait plus rien de tout cela ! Pas un arbre, pas un arbrisseau, pas un arbuste ne se montrait à travers la campagne… Des collines boisées entre lesquelles devait s’étaler le village de Klock-Klock, nous ne vîmes pas apparence… De ces ruisseaux où les hommes de la Jane n’avaient point osé se désaltérer, je n’aperçus pas un seul, — non pas même une goutte d’eau ni ordinaire ni extraordinaire… Partout l’affreuse, la désolante, l’absolue aridité !

Cependant Hunt marchait d’un pas rapide, sans montrer aucune hésitation. Il semblait qu’un instinct naturel le conduisît, ainsi que ces hirondelles, ces pigeons voyageurs, ramenés à leurs nids par le plus court, — à vol d’oiseau, « à vol d’abeille », disons-nous en Amérique. Je ne sais quel pressentiment nous incitait à le suivre comme le meilleur des guides, un Bas de Cuir, un Renard Subtil !… Et — après tout — peut-être était-il le compatriote de ces héros de Fenimore Cooper ?…

Mais, je ne saurais trop le répéter, nous n’avions pas devant les yeux cette contrée fabuleuse, décrite par Arthur Pym. Ce que nos pieds foulaient, c’était un sol tourmenté, ravagé, convulsionné. Il était noir… oui… noir et calciné comme s’il eût été vomi des entrailles de la terre sous l’action des forces plutoniennes. On eût dit que quelque effroyable et irrésistible cataclysme l’avait bouleversé sur toute sa surface.