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le sphinx des glaces

de le faire, alors que j’en étais réduit à de simples présomptions sur le sort de la Jane, que ne ferai-je pas, aujourd’hui que ces présomptions se sont changées en certitudes ?…

— Je vous comprends, capitaine, et, à mon avis, l’expérience que vous avez de la navigation dans ces parages doit accroître nos chances de succès.

— Sans doute, monsieur Jeorling ! Cependant, au-delà de la banquise, c’est encore l’inconnu pour moi, comme pour tant d’autres navigateurs !

— L’inconnu ?… Non pas absolument, capitaine, puisque nous possédons les rapports très sérieux de Weddell, et, j’ajoute, ceux d’Arthur Pym.

— Oui !… je le sais !… Ils ont parlé de la mer libre…

— Est-ce que vous n’y croyez pas ?…

— Oui !… j’y crois !… Oui !… Elle existe, et cela pour des raisons qui ont leur valeur. En effet, il est de toute évidence que ces masses, désignées sous les noms d’ice-fields et d’ice-bergs, ne sauraient se former en pleine mer. C’est un violent et irrésistible effort, provoqué par les houles, qui les détache des continents ou des îles des hautes latitudes. Puis, les courants les entraînent vers les eaux plus tempérées, où les chocs entament leurs arêtes, alors que la température désagrège leurs bases et leurs flancs soumis aux influences thermométriques.

— Cela me paraît l’évidence même, répondis-je.

— Donc, reprit le capitaine Len Guy, ces masses ne sont point venues de la banquise. C’est en dérivant qu’elles l’atteignent, qu’elles la brisent parfois, qu’elles franchissent ses passes. D’ailleurs, il ne faut pas juger la zone australe d’après la zone boréale. Les conditions n’y sont pas identiques. Aussi Cook a-t-il pu affirmer qu’il n’avait jamais rencontré dans les mers groënlandaises l’équivalent des montagnes de glace de la mer antarctique, même à une latitude plus élevée.

— Et à quoi cela tient-il ?… demandai-je.