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des sandwich au cercle polaire.

— Dès lors, avant un mois, capitaine…

— Avant un mois, j’espère avoir retrouvé, au-delà de la banquise, la mer libre, signalée avec tant d’insistance par Weddell et Arthur Pym, et nous n’aurons plus qu’à naviguer dans les conditions ordinaires jusqu’à l’îlot Bennet d’abord, jusqu’à l’île Tsalal ensuite. Sur cette mer largement dégagée, quel obstacle pourrait nous arrêter, ou même nous occasionner des retards ?…

— Je n’en prévois aucun, capitaine, dès que nous serons au revers de la banquise. Ce passage, c’est le point difficile, c’est ce qui doit être l’objet de nos constantes préoccupations, et pour peu que les vents d’est tiennent…

— Ils tiendront, monsieur Jeorling, et tous les navigateurs des mers australes ont pu constater, comme je l’ai fait moi-même, la permanence de ces vents. Je sais bien qu’entre le trentième et le soixantième parallèle, les rafales viennent le plus communément de la partie ouest. Mais, au-delà, par suite d’un renversement très marqué, les vents opposés prennent le dessus, et, vous ne l’ignorez pas, depuis que nous avons dépassé cette limite, ils soufflent régulièrement dans cette direction…

— Cela est vrai, et je m’en réjouis, capitaine. D’ailleurs, je l’avoue — et cet aveu ne me gêne en rien, — je commence à devenir superstitieux…

— Et pourquoi ne point l’être, monsieur Jeorling ?… Qu’y a-t-il de déraisonnable à admettre l’intervention d’une puissance surnaturelle dans les plus ordinaires circonstances de la vie ?… Et nous, marins de l’Halbrane, nous serait-il permis d’en douter ?… Souvenez-vous donc… cette rencontre de l’infortuné Patterson sur la route de notre goélette… ce glaçon emporté jusqu’aux parages que nous traversions, et qui se dissout presque aussitôt… Réfléchissez, monsieur Jeorling, est-ce que ces faits ne sont pas d’ordre providentiel ?… Je vais plus loin, et j’affirme qu’après avoir tant fait pour nous guider vers nos compatriotes de la Jane, Dieu ne voudra pas nous abandonner…