Page:Verne - Le Sphinx des Glaces, 1897.djvu/10

Cette page a été validée par deux contributeurs.
4
le sphinx des glaces

C’était un gros et grand Américain, installé depuis une vingtaine d’années à Christmas-Harbour, et qui tenait l’unique auberge du port.

« Long, en effet, vous répondrai-je, maître Atkins, à la condition que vous ne serez pas blessé de ma réponse.

— En aucune façon, répliqua le brave homme. Vous imaginez bien que je suis fait à ces réparties-là comme les roches du cap François aux houles du large.

— Et vous y résistez comme lui…

— Sans doute ! Du jour où vous avez débarqué à Christmas-Harbour, où vous êtes descendu chez Fenimore Atkins, à l’enseigne du Cormoran-Vert, je me suis dit : Dans une quinzaine, si ce n’est dans la huitaine, mon hôte en aura assez, et regrettera d’avoir débarqué aux Kerguelen…

— Non, maître Atkins, et je ne regrette jamais rien de ce que j’ai fait !

— Bonne habitude, monsieur !

— D’ailleurs, à parcourir ce groupe, j’ai gagné d’y observer des choses curieuses. J’ai traversé ses vastes plaines ondulées, coupées de tourbières, tapissées de mousses dures, et j’en rapporterai de curieux échantillons minéralogiques et géologiques. J’ai pris part à vos pêches de veaux marins et de phoques. J’ai visité vos rookerys où les pingouins et les albatros vivent en bons camarades, et cela m’a semblé digne d’observation. Vous m’avez servi, de temps en temps, du pétrel-balthazard, assaisonné de votre main, et qui est très acceptable quand on est doué d’un bel appétit. Enfin j’ai trouvé un excellent accueil au Cormoran-Vert, et je vous en suis fort reconnaissant… Mais, si je sais compter, voici deux mois que le trois-mâts chilien Pênas m’a déposé à Christmas-Harbour, en plein hiver…

— Et vous avez envie, s’écria l’aubergiste, de retourner dans votre pays, qui est le mien, monsieur Jeorling, de regagner le Connecticut, de revoir Hartford, notre capitale…

— Sans doute, maître Atkins, car depuis trois ans bientôt je cours