Dès qu’il fut en état de se tenir debout, et ce fut au bout de trois jours, mon frère ne quitta plus la chambre de Myra. De mon côté, je ne m’absentais guère de l’hôtel, si ce n’est pour me rendre à la Maison de Ville. M. Stepark me tenait au courant de tout ce qui se disait à Ragz. Par lui, je savais que la population était en proie aux plus vives appréhensions. Dans l’imagination populaire, ce n’était plus seulement Wilhelm Storitz, mais une bande d’invisibles formée par lui, qui avait envahi la ville livrée sans défense à leurs infernales machinations.
Le capitaine Haralan, par contre, était le plus souvent hors de notre forteresse. Sous l’obsession d’une idée fixe, il parcourait incessamment les rues. Il ne me demandait pas de l’accompagner. Avait-il donc en tête quelque projet dont il craignait que je ne voulusse le détourner ? Comptait-il sur le plus invraisemblable des hasards pour rencontrer Wilhelm Storitz ? Attendait-il que celui-ci fut signalé à Spremberg ou autre part, pour tenter de le rejoindre ? Certes, je n’aurais plus essayé de le retenir. Je l’aurais accompagné, au contraire, et je l’aurais aidé à nous débarrasser de ce malfaiteur.
Mais cette éventualité avait-elle quelque chance de se produire ? Non, assurément. Ni à Ragz, ni ailleurs.
Dans la soirée du 11 juin, j’eus une longue conversation avec mon frère. Il m’avait paru plus accablé que jamais, et j’appréhendais qu’il ne tombât sérieusement malade. Il aurait fallu l’entraîner loin de cette ville, le ramener en France, mais il n’eût jamais consenti à se séparer de Myra. Cependant, était-il donc impossible que la famille Roderich s’éloignât de Ragz pour quelque temps ? La question ne méritait-elle pas d’être étudiée ? J’y pensais et je me promettais d’en parler au docteur.
Ce jour-là, en terminant notre entretien, je dis à Marc :
« Mon pauvre frère, je te vois prêt à perdre tout espoir ; tu as tort. La vie de Myra n’est pas en danger, les médecins sont d’accord là-dessus. Si sa raison l’a abandonnée, c’est momen-