Quelles furent leur surprise, leur indignation, au récit de ce qui venait de se passer dans la maison du boulevard Tékéli ! Mon frère ne parvenait pas à se maîtriser. Comme le capitaine Haralan, il voulait châtier Wilhelm Storitz avant que la justice fût intervenue. En. vain je lui objectai que son ennemi avait sûrement quitté la ville.
« S’il n’est pas à Ragz, s’écriait-il, il est à Spremberg !
J’eus grand’peine à le modérer, et il fallut que le docteur joignît ses instances aux miennes.
— Mon cher Marc, dit le docteur, écoutez les conseils de votre frère, et laissons s’éteindre cette affaire si pénible pour notre famille. Le silence sur tout ceci, et on aura bientôt oublié. »
Mon frère, la tête entre ses mains faisait peine à voir. Je sentais tout ce qu’il devait souffrir. Que n’aurais-je pas donné pour être plus vieux de quelques jours, pour que Myra Roderich fût enfin Myra Vidal !
Le docteur ajouta qu’il verrait le gouverneur de Ragz. Wilhelm Storitz était étranger, et son Excellence n’hésiterait pas à prendre un arrêté d’expulsion contre lui. L’urgent, c’était d’empêcher que les faits dont l’hôtel Roderich avait été le théâtre pussent se renouveler, dût-on renoncer à en donner une explication satisfaisante. Quant à croire que Wilhelm Storitz disposât, comme il s’en était vanté, d’un pouvoir surhumain, personne ne pouvait l’admettre.
En ce qui concerne Mme Roderich et sa fille, je fis valoir les raisons qui commandaient un silence absolu. Elles ne devaient savoir, ni que la police eût agi, ni qu’elle eût démasqué Wilhelm Storitz.
Ma proposition relative à la couronne fut acceptée. Marc l’aurait, par hasard, retrouvée dans le jardin de l’hôtel. Il serait ainsi démontré que tout cela provenait d’un mauvais plaisant, que l’on finirait par découvrir et que l’on châtierait comme il le méritait.